Appel à contributions – Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée

ECOLE FRANÇAISE DE ROME

Appel à contributions

« Nouvelles approches et nouveaux objets du fait religieux en histoire et en sciences sociales »

L’étude du fait religieux en histoire et en sciences sociales connait depuis plusieurs années une double évolution. Le renouvellement des outils et des approches d’analyse, parallèlement à l’émergence de nouveaux objets d’études, s’est conjugué avec le poids croissant du religieux dans l’actualité sociale et politique. Si le premier processus s’est nourri de la circulation des méthodes entre les différentes sciences humaines et sociales, le second a conduit à réinterroger le fait religieux comme phénomène social total. Cette évolution incite tant à réélaborer la définition même du religieux, au moment où sa réaffirmation s’accompagne d’une fragmentation et d’un brouillage des pratiques, qu’à éprouver la capacité des sciences historiques et sociales à produire les outils d’une compréhension renouvelée de la « religion ». Fondamentalement, c’est bien la singularité du fait religieux comme champ et objet de l’analyse historique et des sciences sociales qu’il faut soumettre aujourd’hui au débat critique.

Si les Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée se sont affirmés depuis longtemps sur les terrains de l’histoire du monde catholique et de la Méditerranée, l’intention est ici d’ouvrir la Revue à l’ensemble des religions, des espaces et des disciplines, pour proposer une vision synthétique et comparatiste. Au-delà, ce sont les particularités des terrains et des objets « religieux » selon les approches de l’histoire et des sciences sociales que nous entendons mettre en évidence et réfléchir. Pour le dire autrement, il nous faut aujourd’hui interroger la possibilité ou la pertinence d’une épistémè propre à l’analyse du fait religieux dans son ensemble. L’islam, le christianisme ou le judaïsme sont-ils abordés de la même façon par les sciences sociales ? Les questionnements et les approches diffèrent-ils lorsque sont en jeu les monothéismes ou d’autres formes de religiosité ? Ces différences relèvent-elles de particularités intrinsèques de ces religions, ou sont-elles le résultat d’une structuration de la recherche en fonction des institutions ou de traditions singulières ?

Le présent appel à contributions vise ainsi à établir un état des lieux des questionnements, objets et problématiques liés au fait religieux dans l’ensemble des sciences humaines et sociales. Il s’agit, d’une part, de questionner les outils et les débats propres à chaque discipline, en cherchant aussi à cartographier les lieux de production du savoir et la circulation des recherches dans ce domaine. D’autre part, ce dossier entend proposer des cas d’étude qui puissent illustrer, à travers la diversité des angles d’analyse possibles, l’apport de ces travaux pour l’ensemble des sciences sociales.

Nous proposons ci-dessous, en forme de premier balisage, un certain nombre de questions, abordant des « problèmes de méthode » et des « nouveaux objets » propres à susciter des propositions d’articles. Il nous semble en effet important que ce dossier construise et explicite ces deux versants de l’activité scientifique, en faisant aussi bien leur place à la réflexivité inquiète des sciences sociales qu’aux capacités empiriques de ces sciences. Ce balisage est indicatif et n’exclut pas d’autres propositions. Il devra cependant guider nos choix, pour parvenir à un ensemble convergent et cohérent.

  • La question de la temporalité et des « régimes d’historicité » dans l’étude historique des faits religieux. Au-delà des différences d’approches entre longue durée et micro-histoire, peut-on dégager des temporalités spécifiques au fait religieux ? Que nous disent les variations d’échelle temporelle pour sa compréhension ? Plus largement, comment aborder historiquement des phénomènes religieux qui se pensent eux-mêmes selon d’autres temporalités ou hors des schémas de l’analyse historique ?
  • La relation de l’histoire et des sciences sociales à la religion s’articule aussi autour de la différence – si ce n’est souvent de la concurrence – des régimes discursifs et des modes d’analyse. La question de la définition et de l’appréhension des sources notamment distingue le discours religieux de la critique historique et des sciences sociales. De quelles sources et quelles méthodes peuvent disposer ces dernières pour proposer une étude des faits religieux ? Quelles sont les évolutions des pratiques scientifiques dans ce domaine ? On pense ainsi par exemple à la place de l’image – de l’image fixe à l’image mobile – dans les sciences sociales du religieux : la part croissante de l’anthropologie visuelle dans le champ de ces sciences relève-t-elle d’attendus spécifiques ? Comment les interactions fonctionnent-elles dans des situations de captations de rituels, etc. ? L’anthropologie pragmatique nourrit-elle un lien particulier avec les « acteurs » religieux ? D’un autre côté, la question du traitement des sources s’est posée tant au sujet de la littérature religieuse que de la relation entre la littérature et la religion, notamment à partir du XIXe siècle. Comment penser les écrits religieux comme des objets d’expression du social et des mentalités ? Comment appréhender la littérature de la spiritualité et l’expression littéraire de la religion face à d’autres régimes explicatifs, qu’il s’agisse de la médecine, et notamment son versant psychanalytique, de la sociologie ou de l’histoire ?
  • La circulation des méthodes et des sources a conduit à des emprunts de plus en plus fréquents entre disciplines. La prétention globalisante des systèmes de pensée religieux s’oppose à la fragmentation disciplinaire des sciences sociales, qui ne peuvent aborder cette totalité revendiquée qu’en jouant de leur complémentarité. Quelles sont dès lors les articulations possibles entre sciences sociales ? Les frontières entre la sociologie et l’anthropologie tendent ainsi, par exemple, de plus en plus à se brouiller dans l’étude des faits religieux, incitant à repenser leur propre singularité.
  • Inversement, comment caractériser les questionnements et débats propres à chaque discipline face au fait religieux ? Si l’étude du religieux a longtemps été l’apanage de l’histoire et de la sociologie, voire de l’anthropologie pour les mondes extra-européens (selon une vision souvent culturaliste qu’il convient aussi de soumettre à la critique), la science politique, le droit ou l’économie se sont aussi affirmés dans ce domaine, notamment devant l’émergence de questionnement nouveaux. Comment les problèmes les plus récemment débattus sur la scène savante comme sur la scène publique – de la question du « voile » à celle de la « fin de vie », etc. – provoquent-ils ainsi de nouvelles formes d’articulation de l’instance juridique sur celle de l’Etat-nation, en particulier à travers l’apparition de nouvelles instances de juridiction transnationales, et de nouvelles interrogations sur le statut de la laïcité républicaine par rapport à l’intervention des institutions et des opinions religieuses ? Comment l’économie permet-elle d’observer la place de la gestion des croyances dans le monde de l’entreprise contemporaine, comme facteur de cohésion, de mobilisation ? Comment la science politique permet-elle de penser le facteur religieux dans les processus de politisation ?
  • La question de l’interdisciplinarité et de ses limites concerne non seulement les méthodes mais aussi ses effets sur la structuration du champ académique et sur la distribution des lieux de production du savoir. Dans une période où disparaissent ainsi progressivement les principaux acteurs du renouveau de la sociologie des religions après la Seconde guerre mondiale, on commence à pouvoir écrire cette page décisive de la discipline et produire une cartographie de ses formes de développement dans l’espace européen. Comment la recherche s’est-elle par ailleurs structurée dans le domaine en fonction des particularismes nationaux ? Nous souhaitons proposer aussi un bilan comparatif, à l’échelle du long XXe siècle, des voies de la constitution de l’objet religieux comme lieu de savoir académique, dans les grands pays européens les plus représentatifs de la pluralité de ces voies : France, Italie et Allemagne.

Ces questionnements sont inséparables de l’élargissement du regard sur de nouveaux objets. Des éclairages plus ponctuels offrant des exemples précis de la façon dont ces objets sont pensés et conduisent éventuellement à une réflexion heuristique sur le fait religieux sont les bienvenus. A titre d’exemples, nous indiquons ci-dessous une liste non exhaustive de thèmes pouvant être retenus :

  • Comment penser la question du genre dans le champ religieux, et notamment l’articulation entre le fait religieux comme producteur de définition du genre et comme fait social travaillé par les rapports de genre ? Comment mobiliser le champ religieux dans l’analyse des rapports de genre ?
  • Quels sont les effets de la globalisation dans la définition même de certaines « identités religieuses », à travers les nouveaux phénomènes de circulation – qu’il s’agisse des mobilités des personnes ou des nouveaux modes de circulation des discours ? Comment penser cette globalisation en tenant compte aussi des formes de reterritorialisation religieuse, dans la dynamique des conflits contemporains et de surinvestissements de « lieux » découpés dans l’espace du monde ?
  • L’étude du rôle des circulations religieuses dans la production de savoirs, jusqu’à l’époque contemporaine – savoirs qui doivent être considérés dans leur spécificité sans être assignés à des modes téléologiques de préfiguration de telle ou telle science – a beaucoup enrichi l’« histoire des sciences » dans sa définition moderne et largement eurocentrée. Comment définir cette histoire ouverte et qualifier ses apports ?
  • La théologie est très longtemps restée l’affaire des théologiens, dans la double définition confessionnelle et professionnelle du mot. Quels effets produit sur la discipline sa sécularisation ? Et quels effets cette sécularisation produit-elle en retour sur les sciences sociales dans leur définition comme savoir total ?
  • Quelle raison rendre de la notion d’écologie humaine aujourd’hui portée par les religions, que ce soit les Eglises chrétiennes ou l’islam ? Quelles sont les articulations entre la question fondamentale de l’animalité, dans son rapport à l’humanité, et les discours religieux sur le « vivant » ?

L’objectif est de faire suivre le dossier d’une table-ronde réunissant un groupe de spécialistes des cultures religieuses contemporaines, à l’échelle mondiale, auquel sera soumis un même questionnaire sur leur perception des sciences sociales dans leur rapport au « religieux » : comment s’inscrit la perspective historique dans la saisie des réalités contemporaines ? Comment se configure le rapport du politique au religieux ? Quelle est la pertinence d’une approche anthropologique des faits religieux ? Qu’est-ce qu’une sociologie religieuse selon des différents univers sociaux et culturels ? Cette table-ronde, réunie au terme de la constitution du dossier conçu par les Mélanges sous le double angle des méthodes et des objets des sciences sociales du religieux, s’enrichira des contributions rassemblées, qui seront communiquées aux participants de cette table-ronde.

Les propositions de contributions, de l’ordre de 5000 signes maximum, peuvent être rédigées en italien, en français ou en anglais, et doivent être accompagnées d’un court CV. Elles doivent être adressées avant le 15 mai 2015, pour une réponse début juin 2015.

Les propositions doivent être adressées à Claire Challéat, secrétaire de la direction des études pour les époques moderne et contemporaine de l’École française de Rome (secrmod@efrome.it).

Les communications retenues devront être remises avant le 18 décembre 2015. Les normes éditoriales seront fournies ultérieurement aux auteurs.

Dossier coordonné par :

François Dumasy, École française de Rome/CHERPA

Magali Della Sudda, CNRS/Centre Émile Durkheim

Pierre Antoine Fabre, EHESS/CéSor


Ecole française de Rome

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