Ateliers : La magie dans l’Orient juif, chrétien et musulman : Recherches en cours & études de cas

 

Ateliers organisés par Ayda Bouanga, chercheure associée au LabEx HaStec et au CéSor EHESS-CNRS et Jean-Charles Coulon, chargé de recherche à l’IRHT-CNRS

 

Ces ateliers de réflexion entamés en janvier 2016 visent à ouvrir un espace de discussion interdisciplinaire concernant les pratiques magiques et les textes de « sciences occultes »[1] dans l’Orient juif, chrétien et musulman depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Divination, ensorcellement, exorcisme et autres charmes et envoûtements sont des pratiques courantes qualifiées de « magiques » par les textes sacrés et les autorités religieuses comme par les anthropologues du siècle passé. Elles furent à la fois condamnées, réglementées et codifiées par les pouvoirs politiques et religieux. Pour agir, les oracles et les magiciens de la Grèce antique et de Byzance, les nigromanciens de l’Europe latine, les däbtära éthiopiens, les cabalistes juifs, les derviches turcs, les marabouts du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, mettent en action un système symbolique propre à leur religion, leur société et leur culture, qui est alors traduit en fonction de l’objectif visé sous une forme rituelle et/ou matérielle, allant de la simple invocation ou conjuration à la fabrication et l’utilisation d’objets tels que des amulettes, talismans et rouleaux protecteurs. Les performances de ces artefacts permettent de se protéger ou de demander l’intercession d’un esprit ou d’une entité supranaturelle reconnue pour ses pouvoirs (anges, saints, esprits, djinns, zars, démons, etc.). Au sein de l’Orient juif, chrétien et musulman, malgré les différences qu’impliquent des contextes historiques, géographiques et culturels différents, des similitudes peuvent aussi être mises en évidence.

Ces praticiens des sciences occultes peuvent disposer de statuts sociaux différents. La contextualisation du magicien, de l’exorciste, du guérisseur, du marabout ou encore du däbtära permet d’interroger le statut social de ces praticiens des sciences occultes. Contrairement à l’image longtemps véhiculée par une historiographie opposant magie et religion, la pratique des arts occultes n’implique pas toujours un statut marginal. Au contraire, elle n’est pas incompatible avec des sacerdoces et fonctions religieuses. Au sein d’une société et selon la nature de leur activité ou leur formation, certains praticiens peuvent ainsi être prêtres, chantres de l’Église, érudits, rabbins, imams, etc. Ils peuvent disposer d’un savoir religieux, souvent acquis lors un parcours clérical. Au regard de leur sacerdoce, leur fonction d’agents du sacré en font des personnages privilégiés pour mettre en action le potentiel opératoire des textes sacrés et des puissances célestes. D’autres personnages, qui n’ont pas de fonction religieuse, peuvent aussi avoir connaissance de pratiques et de savoirs antiques qui les rendent aptes à faire agir un système symbolique.

Le rapport de ces individus au pouvoir en place est souvent fondamental pour appréhender leur statut : l’astrologue de cour peut jouir d’immenses privilèges et d’une grande autorité quand l’astrologue du « peuple » peut être inquiété par des ordonnances ou des édits du pouvoir à l’encontre des charlatans. Le terme de « magique » (ou ses parasynonymes dépréciatifs et réprobateurs) sert souvent, à tort, à distinguer le détenteur officiellement investi de la puissance sacrée et en charge d’une communauté morale, de l’individu qui a échappé à toute formation religieuse officielle ou traditionnelle ou dont l’activité dépasse – ou plutôt transgresse – les limites normalement dévolues au sacerdoce, même si cette « transgression » n’est pas perçue comme telle par l’individu ou sa clientèle. Les modalités d’acquisition et de transmission de leurs connaissances sont en grande partie méconnues, mais cette polymathie procure à ces hommes un statut social particulier.

Les principaux témoignages de ces activités pour les époques antique et médiévale sont les objets et les manuscrits. L’utilisation des objets comme supports des manifestations magiques dans l’Orient juif, chrétien et musulman, et notamment l’usage des amulettes, des talismans et des rouleaux dans lesquelles des prières et des dessins sont consignés, est répandu et attesté depuis des époques anciennes selon différentes modalités. Ce phénomène questionne la place des outils de dévotion au sein de ces pratiques. La fabrication de ces objets requiert un savoir-faire alliant la maîtrise de l’écriture, de l’art décoratif et des modèles picturaux religieux, le travail du parchemin ou encore la pratique de l’orfèvrerie et de la métallurgie. Les procédés menant à leur réalisation donnent à ces objets des pouvoirs : ils peuvent devenir les vecteurs des propriétés naturelles ou symboliques des matériaux utilisés (pierres, plantes, métaux, etc.) ou des médiums permettant d’établir un contact avec des êtres surnaturels, célestes ou chtoniens, en s’attirant une partie de leur puissance. La comparaison des différentes traditions talismaniques met en évidence les mécanismes permettant aux objets de devenir des nœuds de relation.

Dans chacune de ces traditions, les sources écrites nous informent sur la construction, la circulation et la réception de ces savoirs au sein de l’Orient juif, chrétien et musulman. Les référents auxquels ils font appel conduisent à une réflexion sur la circulation et la réception des figures historiques (saints, roi, savants, philosophes, etc.) et surnaturelles (démons, dragons, esprits, anges, etc.). Malgré des particularismes propres à chaque langue et culture, les études sur la divination et la magie, qu’elles soient grecques, byzantines, coptes, syriaques, arabes ou éthiopiennes, mettent en évidence que certaines figures traversent les régions et les âges, comme par exemple Salomon, son Testament, ses odes et sa Clavicule, véritables manuels de démonologie ; Saint Cyprien d’Antioche, mage du ive siècle converti au christianisme ; l’empereur Alexandre le Grand auquel on prête une connaissance des mystères spirituels ; ou encore le philosophe Apollonius de Tyane (Balīnūs en arabe) à qui on attribue de nombreux talismans et traités de magie renommés tout autour du bassin Méditerranéen.

Les textes sacrés sont également au cœur des pratiques magiques : des passages de la Torah, des Évangiles, des Psaumes ou du Coran sont utilisés dans toute la région pour des pratiques prophylactiques et divinatoires. La langue et l’alphabet des langues liturgiques eux-mêmes sont exploités dans une perspective numérologique, comme nous pouvons l’observer avec la valeur numérique des caractères guèzes (langue savante de l’Église éthiopienne), coptes, hébreux (guématria) ou arabes (science des lettres et des carrés magiques). Ces textes religieux ne sont pas toujours mis en œuvre dans leur état brut. Ils peuvent être soumis à un travail de transformation qui agit sur leur forme et leur sens en leur conférant une valeur performative.

Si la magie est généralement mise en opposition ou en concurrence avec la religion, le terme de « magie » lui-même s’avère bien souvent réducteur ou déformant pour qualifier les différentes pratiques observées. Ainsi, comme le soulignait Camille Tarot, « la distinction magie/religion est un des plus vieux topoï des sciences des religions, par où elle est bel et bien enracinée dans l’héritage de la civilisation occidentale, si ce n’est de la chasse aux sorcières. C’est dire les présupposés latents : la magie, c’est la fausse monnaie de la religion, de la religion dévoyée ou transgressive, etc. Les théoriciens recourent à la distinction chaque fois qu’ils espèrent obtenir une définition pure de la religion pure »[2]. L’ensemble des ateliers de ce séminaire montrera ainsi que les pratiques magiques et les textes de « sciences occultes » mettent en relief tout à la fois les particularités des systèmes symboliques et sacrés propres à chaque culture, les processus communs, ainsi que les tensions sociales et politiques inhérentes à la lutte pour le monopole et la détention de la puissance du symbolique et du sacré.

Programme

Toutes les séances auront lieu dans la salle Alphonse Dupront

10 rue Monsieur le Prince, 75006 Paris

–          Jeudi 24 novembre 2016 de 13h à 15h

Séance d’introduction. « Désigner le ‘magicien’ dans l’Éthiopie chrétienne et le monde arabo-musulman à l’époque médiévale ».

Intervenants : Ayda Bouanga (CéSor-EHESS) et Jean-Charles Coulon (IRHT-CNRS)

–          Jeudi 15 décembre 2016 de 13h à 15h

« La magie dans le texte : études de cas dans les mondes byzantin et islamique »

Intervenants : Jean-Charles Coulon (IRHT-CNRS) et Tamara Andrucovici (Université Paris IV/UMR Orient et Méditerranée)

–          Jeudi 12 janvier 2017 de 13h à 15h

« La ‘magie’ en image : iconographie et référents ».

Intervenants : Ayda Bouanga (CéSor-EHESS) et Marion Charpier (GAHOM-EHESS)

–          Jeudi 09 février 2017 de 13h à 15h

« Magie et divination dans le monde persan médiéval ».

Intervenants : Anna Caiozzo (Université Paris 7 Diderot), Francis Richard (UMR Mondes Iranien et Indien) et Aida Alavi (Université Paris 7 Diderot)

–          Jeudi 09 mars 2017 de 13h à 15h

« Les objets à usage magique juifs et musulmans : de la sphère privée à la sphère publique, fabrication et circulation ».

Intervenants : Constant Hames (CéSor-EHESS), Alain Epelboin (MNHN/CNRS) et Emma Abate (EPHE(SAPRAT)/Gerda Henkel Foundation)

–          Jeudi 20 avril 2017 de 13h à 15h

« Rites et performances : les gestes magiques (Ethiopie et Burkina Faso) ».

Intervenants : Makeda Ketcham (CFEE) et Camille Devineau (CREM-Université Paris 10)

–          Jeudi 11 mai 2017 de 13h à 15h

« Réceptions des textes arabes dans l’Europe médiévale »

Intervenants : Jean-Patrice Boudet (Université d’Orléans/IRHT), Julien Véronèse (Université d’Orléans)

–          Jeudi 08 juin 2017 de 13h à 15h

« La magie dans l’Empire romain »

Intervenants : Thomas Galoppin (Labex Hastec/LEM) et Korshi Dosoo (Labex Resmed/UMR Orient et Méditérannée)

 

[1] Les « sciences occultes » désignent un ensemble de sciences et de pratiques nécessitant généralement une initiation particulière et fondées sur les lois « occultes » de la nature. Elles incluent l’astrologie, l’alchimie, les diverses formes de divination, l’art talismanique, la magie, la kabbale et ses différents avatars, etc.

[2] Camille Tarot, Le symbolique et le sacré. Théories de la religion, Paris, Éditions La Découverte («  Bibliothèque du M.A.U.S.S »), 2008, p. 683.

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