Les variations du croire 2017-2018

Nathalie Luca, directrice de recherche au CNRS (CéSor) et Anne-Sophie Lamine, professeure de sociologie (Université de Strasbourg, DynamE)

4ième mercredi du mois de 14h à 18h (salle Alphonse-Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince 75006 Paris)

du 22 novembre 2017 au 23 mai 2017. Séance supplémentaire de 14h à 18h le 13 juin 2017

Le séminaire poursuit l’exploration du croire dans le religieux (christianismes, islams, nouveaux mouvements religieux…) et à ses frontières (milieux entrepreneuriaux, artistiques ou politiques). Il s’inscrit dans le cadre des activités menées par le programme collaboratif « Les techniques du (faire) croire » du Laboratoire d’excellence HaStec, « Histoire et anthropologie des savoirs, des techniques et des croyances ». Les questions posées traversent et dépassent le champ religieux, portant sur les notions d’expérience, de choix, de vocation, d’engagement, de dépassement de soi analysées en tant que dispositions à la confiance, à l’optimisme permettant autant la réalisation d’un « soi » que la fabrication d’un collectif engagé. C’est  sur l’articulation entre raison et émotion, extériorité et intériorité, responsabilité et conviction, et sur la façon dont ceux-ci rencontrent les notions de foi, de passion, d’ambition, d’optimisme et de responsabilité que se consacrera notre séminaire mensuel. L’ensemble des séances mobilisera l’approche pragmatiste de Dewey. Les trois premières analyseront les engagements croyants. Les deux dernières partiront de corpus filmiques (un court métrage sur un artisan lillois et un long-métrage sur des entrepreneurs haïtiens) pour analyser les manifestations de la vocation et de la foi et les dispositions à l’engagement telles qu’elles se manifestent dans des sphères d’activité séculières.

22/11/2017 – Anne-Sophie Lamine, « Approche pragmatiste (deweyenne) du croire (1). Croire comme expérience et comme aspiration. Émotions, idéaux et dépassement de soi »

Cette première séance nous permettra d’aborder l’approche pragmatiste développée par John Dewey (Ethics, L’art comme expérience, Foi commune, Théorie de la valuation…) et de discuter sa pertinence à partir de cas empiriques contemporain, relevant surtout du domaine du religieux, mais avec plusieurs ouvertures à d’autres domaines (art, politique, environnement, conduite de vie…). Nous montrerons comment la lecture de Dewey permet de prendre en compte les émotions. Nous verrons comment elle aborde les valeurs en incluant leurs dimensions rationnelle et émotionnelle. En utilisant cette approche pragmatiste pour analyser plusieurs cas empiriques, nous montrerons qu’elle permet de développer une sociologie (ou anthropologie) de l’expérience et des idéaux.

24/01/2018 – Anne-Sophie Lamine, « Approche pragmatiste (deweyenne) du croire (2). Faire communauté et fabriquer du commun ». Dans la deuxième séance nous poursuivrons l’exploration de l’approche pragmatiste de John Dewey en nous focalisant sur les questions du commun et de la pluralité, à partir de plusieurs cas empiriques concernant principalement les musulmans en Europe et en Amérique du Nord. Comment prendre en compte la dimension émotionnelle dans la perception de la pluralité ? Comment du commun peut-il se fabriquer à partir d’ancrages particuliers ? Comment le religieux socialement acceptable module-t-il les possibilités de participation sociale ? (Ethics, Le public et ses problèmes…). En complément, Nathalie Luca présentera pour sa part l’ouvrage Après le libéralisme de Dewey qui propose une lecture du libéralisme comme expérience partagée ouvrant sur une transformation du monde rendue possible grâce à la réalisation des capacités individuelles de chacun, une possibilité anéantie par un « pseudo-libéralisme » ossifié et rétréci profitant à une minorité de privilégiés. Ce faisant Dewey montre comment liberté, individualité et communauté doivent être pensées ensemble comme « puissance d’agir » et non pas comme des notions contradictoires.

28/02/2018 – Anne-Sophie Lamine, « Approche pragmatiste (deweyenne) du croire (3). Comment le croire en actes permet-il de réfléchir aux niveaux d’intensité de l’engagement et aux formes de radicalités ? » Il s’agira dans cette troisième séance d’une part de discuter des termes tels que croire intensif, rigorisme, radicalisation et d’autre part, des outils d’analyse des processus de rigidification du croire (religieux mais aussi non religieux, les cas empiriques discutés relèveront de diverses religions et convictions), dans les trois modalités mises en évidence par l’approche pragmatiste (croire comme expérience, comme aspiration et idéaux, et croire comme commun).

28/03/2018 – Séance invitées :

  • Cécile Boëx, MCF EHESS/CéSor, « Interpeller, séduire et convaincre. Le discours et les affects dans la propagande audiovisuelle jihadiste ». A partir d’un corpus de vidéos diffusées par des organisations jihadistes ou par leur relais et destinées au recrutement, il s’agira d’interroger les divers formes d’écritures audiovisuelles de la persuasion qui s’y déploient. L’analyse portera sur les dispositifs visuels, sonores, émotionnels et rhétoriques mobilisés dans ces objets audiovisuels. L’articulation d’un marketing émotionnel et expérientiel avec la banalisation de la guerre et de la mort retiendra particulièrement notre attention.
  • Cécile Guillaume-Pey, post-doctorante/CéSor, « Tracer des désirs et contraindre les dieux. Réflexions autour de la production et de la circulation d’images rituelles chez les Sora ». À partir des supports visuels que les Sora, groupe tribal du centre-est de l’Inde, fabriquent ou s’approprient, cette étude aborde la question des rapports entre « voir » et « croire » en mettant en évidence l’importance, cruciale et médiatrice, des gestes et de la parole. Les images dont il sera question – chromolithographes des dieux hindous et peintures murales consacrées aux divinités autochtones – ne sont pas des supports isolés. Comprendre ce que sont ces images et comment elles agissent nécessite donc de mettre en lumière le complexe d’objets, de mots, de gestes, d’intentions et d’émotions dans lequel elles s’inscrivent. Il s’agira en outre de voir comment des dynamiques contemporaines – conversions religieuses, patrimonialisation des pratiques rituelles – influent à la fois sur la production, la circulation et parfois, la disparition de ces images. Ces processus s’accompagnent d’une reconfiguration des rapports entre le « faire-voir » et le « faire-croire ».

23/05/2018 – Nathalie Luca, « L’audace d’entreprendre. Prise de risque, dépassement de soi et intensité de l’engagement des entrepreneurs. Etudes de cas en France ». Cette séance reposera sur deux types de documents : le portrait d’un artisan-artiste-entrepreneur présenté dans un court-métrage et l’analyse d’une quinzaine d’entretiens réalisés en 2016 auprès d’entreteneurs. Il s’agira de faire ressortir comment la prise de risque inhérente à l’esprit d’entreprise constitue une croyance en acte, reposant notamment sur une « projection », une observation travaillée des « opportunités », l’instauration d’une « confiance réciproque » avec un collectif, et la mobilisation d’un « héritage », l’ensemble de ces notions nécessitant d’être explicité.

13/06/2018 – Nathalie Luca, « Les porteurs d’optimisme. Foi et engagement des entrepreneurs haïtiens. » Nous présenterons, lors de cette dernière séance un long-métrage réalisé à partir de données recueillies en Haïti suite au passage dévastateur de l’ouragan Matthew dans le sud du pays. Hommes politiques, entrepreneurs (agriculteurs, pêcheur, boulanger, producteur TV), enseignants, représentants d’associations locales d’entrepreneurs, en tout une dizaine de personnes ont été interviewées, certaines suivies sur leur lieu de travail ou dans leurs activités. Toutes souhaitaient montrer, dans leur récit et leurs actions, leur engagement, leur vision, leur foi, leur capacité de mobilisation, leur volonté d’innovation. Si pour certains, Dieu peut apparaître plus ou moins explicitement comme un puissant moteur pour avancer, personne en tout cas ne se situe dans l’attente de son aide. Ces hommes et ces femmes investis, souvent très modestement, dans un processus de développement économique, manifestent un esprit d’entreprise fait d’espoir de réussite, de projection vers une situation meilleure, d’inventivité créative, d’abnégation, de regroupements associatifs créés pour parer aux manques et s’entraider dans les méandres administratifs à la manière des pépinières de start-up. Ces hommes et ces femmes possèdent cette volonté de décider, de prendre leurs affaires en main, cet esprit d’indépendance et de liberté qui font d’eux des entrepreneurs exemplaires poussés par le seul capital qui leur reste : l’optimisme.

 

 

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