Les écritures minoritaires d’Asie Origines, transmissions et usages

 

 

Séminaire mensuel organisé à l’EHESS par Aurélie Névot (CNRS-CECMC)

et Cécile Guillaume-Pey (post-doctorante du Labex HASTEC)

3e jeudi du mois de 13h à 15h Du 16 novembre 2017 au 17 mai 2018

Lieu : Salle AS1_23, 54 bd Raspail 75006 Paris

(la séance du 17 mai se déroulera en salle AS1_24 (même adresse)

 Problématique du séminaire :

Si parler d’écritures en Asie fait immédiatement songer à deux grandes aires culturelles : l’Inde et la Chine d’où de nombreuses écritures tirent leurs origines, référence est encore rarement faite aux écritures minoritaires également observables sur ce vaste continent. En effet, il est remarquable qu’un certain nombre de groupes ethniques connaissent ou se réfèrent à des traditions graphiques particulières, peu ou prou récentes, et le plus souvent réservées à quelques initiés. Ce sont ces pratiques scripturales, « ultra-minoritaires » donc, entourées (voire insérées dans) de grandes traditions lettrées associées à des États puissants (la Chine et l’Inde notamment), qu’elles soient visuellement observables ou mythifiées (et donc seulement évoquées) que nous proposons ici d’interroger. Que dire de leurs origines – pouvant être associées à une découverte, à une révélation voire à un emprunt –, de leur transmission, des références à des écritures disparues, et de leur caractère si minoritaire et si diversifié (parfois même au sein d’une même minorité) ? À quels types d’usages ces écritures renvoient-elles ? Comment et par qui sont-elles tracées, lues, et manipulées par le biais des divers supports sur lesquels elles s’inscrivent ? Quid des représentations du monde et des logiques de pensée auxquelles elles renvoient ?

Une multitude de minorités ethniques habite au sein du Massif du sud-est asiatique (Jean Michaud), sur un territoire immense que d’aucuns appellent la Zomia (Willem van Schendel, James C. Scott) – espace qui demeure encore indéfini et conceptuellement discuté. En questionnant les traditions scripturales, encore très peu étudiées, qui s’y sont développées, et en élargissant notre champ d’analyse par-delà les versants de la Zomia, nous proposons de mettre en perspective l’hypothèse de James C. Scott. Pour ce dernier, en effet, les habitants de la Zomia ne seraient pas illettrés mais « allettrés » (post-literate). En promouvant l’oralité, ces groupes s’opposeraient délibérément aux logiques scripturales des États auxquels ils cherchent à échapper. Or, ce type d’approche – où l’écriture est pensée comme l’instrument privilégié des « sociétés à états » et « à histoire » – renvoie à une dichotomie oralité/écriture qui ne fait pas forcément écho aux pratiques et aux logiques de pensée observables sur le terrain. En outre, les formes scripturaires développées par certains groupes minoritaires – qualifiées de « magiques » – sont volontairement ignorées par Scott.

En mettant en avant que de nombreuses écritures se sont développées à la marge de l’État en Asie (notamment dans le sud-ouest de la Chine et au sein de groupes tribaux localisés en Inde), on s’interrogera sur leurs origines, leurs circulations et leurs usages. La création d’écritures accompagnant souvent l’émergence de mouvements socio-religieux (prophétisme, millénarisme), on s’intéressera particulièrement aux énonciations et aux activités rituelles qui se déploient autour de ces formes graphiques, à leur rôle supposé dans l’ancrage des représentations du monde locales sur un territoire particulier. Il conviendra par ailleurs d’analyser l’influence des missionnaires occidentaux sur certaines minorités, et les stratégies scripturales mises en œuvre lors de ces rencontres interculturelles (adoption de l’écriture en présence par des missionnaires, appropriation, remaniement ou rejet de l’écriture latine par des minorités, etc.). Plus généralement, l’étude de « mouvements/événements scripturaux » donne à voir des logiques de spatialisation propres, dans un environnement réel et virtuel, au regard de, voire à contre courant d’écritures instituées, étatiques et officielles. Du religieux au politique, l’avènement d’écritures dans des contextes sociologiques spécifiques (revendications identitaires, écritures de contestation) sera étudié.

Conjointement, ces réflexions croisées porteront sur la patrimonialisation et la muséification de certaines de ces écritures et des pratiques afférentes, de même que sur les transformations qu’un tel phénomène implique dans les logiques de pensée en jeu. La mainmise de certains États ou de certains spécialistes sur les écritures de leurs minorités engendre en effet de profonds bouleversements dans la transmission et dans la nature même de ces écritures, directement reliées, par diverses voies patrimoniales, avec le pouvoir dominant (étatique ou tribal). Une sorte de dé-territorialisation et de dénaturation est observable. Les stratégies des pouvoirs centraux, de même que de certains écrivants locaux, sont à étudier. On voit dans le même temps apparaître de nouveaux supports d’écriture, le développement de processus de numérisation, de publication, la création de programmes informatiques, la multiplication d’œuvres artistiques pensées sur la base de ces écritures minoritaires. Ces nouvelles inscriptions des écritures minoritaires d’Asie dans l’espace public et privé seront à analyser.

Programme :

16 novembre 2017 : Séance introductive

21 décembre : Cécile Guillaume-Pey « De la pierre à l’ordinateur. Modalités de transmission des ‘‘lettres-esprits’’ chez les Sora (groupe tribal du centre-est de l’Inde) »

18 janvier : Aurélie Névot « Des écritures chamaniques lignagères, une écriture chamanique d’Etat : état des lieux chez les Yi-Sani (Yunnan) »

15 février : Exposés des étudiants

15 mars : Martine Saussure-Young « La sociographie nushu : les voies de l’écriture, l’écriture de la voix »

19 avril : Béatrice David-Chan (Université Paris 8 – LEGS) « Usages politique et économique  de l’écriture  oraculaire des Sui (Chine du sud-ouest) »

17 mai 2018 : Marine Carrin (CNRS, CAS-LISST) « De l’écriture révélée à l’écriture raisonnée: prophètes et écrivains Santal »

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