Séminaire De la fabrique des autorités religieuses : qualifications, légitimations et ancrages des « clercs » de l’islam, du christianisme et du judaïsme en Méditerranée

Responsable(s) scientifique(s) : Katia Boissevain (Idemec), Marie-Laure Boursin (CHERPA/Idemec), Franck Frégosi (CHERPA), Sabrina Mervin (CéSor), Norig Neveu (Iremam).

Thématique : Réflexion interdisciplinaire sur les transformations à l’œuvre dans la construction de l’autorité des clercs religieux dans les trois religions du Livre et les conséquences sur leurs profils, leurs circulations, leurs modes de légitimation et leurs modes d’intervention dans l’espace public.

Mots-clefs : Autorité religieuse – Formation – Légitimation – Mobilité – Espace public

Objectifs et problématique :

La question de la formation des « autorités religieuses » fait débat dans les pays où religion et État sont séparés, et porte souvent sur une « bonne distance » à trouver entre autonomie complète et droit de regard mesuré. Qu’en est-il lorsque l’État se définit comme détenteur d’une légitimité religieuse ? La gestion de la diversité religieuse apparaît comme une problématique partagée en Méditerranée et au-delà et la plupart des États sont confrontés à l’émergence de revendications et attentes de la part de fidèles d’obédiences diverses. Depuis la fin du XIXe siècle, les institutions religieuses et leurs représentants connaissent d’importants changements, à la fois internes et externes, dus à des contraintes politiques (loi 1905 pour la France, fin du califat ottoman, apparition du réformisme musulman, etc.) qui redistribuent leurs implantations et leurs prérogatives. Les institutions doivent alors négocier leur place face aux nouvelles structures étatiques (régimes communistes, révolution iranienne et création de l’État d’Israël) tout en devant gérer la formation de leurs clercs, selon des hiérarchies, des modes de transmissions et des rapports de forces propres aux différents contextes historiques.

Quelles sont les institutions de formation, quels curricula proposent-elles et à qui s’adressent-elles ? Quels sont les acteurs de la transmission et de sa pérennisation ? Au-delà de la formation des clercs, de l’institution et du diplôme, nous prendrons en considération toute forme de transmission d’un savoir érudit, mais aussi d’un charisme ou d’un savoir être, faire et dire. Le séminaire a mis en lumière la multiplicité des curricula proposés aux clercs, entre religions mais également en son sein. Selon les périodes, les contextes historiques, les publics et les territoires, différentes disciplines sont enseignées : sciences religieuses, sciences humaines, savoirs encyclopédiques, enseignements mystiques, maîtrise des langues. Aussi, les supports de formation s’adaptent aux évolutions technologiques : prêches, initiations, cassettes, vidéos, sites internet, etc. Les curricula sont également révélateurs des attentes des institutions et des personnes qui les mettent en place : écoles traditionnelles, centres de savoir ésotérique ou exotérique, associations ou encore universités. Ceci pose la question du rôle du politique dans l’élaboration de ces curricula et nous aborderons, dans une perspective comparatiste, l’idée d’une sécularisation de la formation des clercs et ses conséquences à différentes échelles. C’est également le lien entre dynamiques locales de formation et inscriptions des parcours dans des logiques transnationales qui sera investigué au cours des séances, à travers les circulations des hommes, femmes et manières de faire.

Ce séminaire propose ainsi d’interroger, de manière comparative, les transformations à l’œuvre dans la formation des clercs religieux et les conséquences sur leurs profils, leurs circulations, leurs modes de légitimation (islam, christianisme et judaïsme en Méditerranée). Pour ce faire, une attention sera portée, selon les contextes, aux profils des clercs masculins et féminins quant à leurs qualifications, afin d’interroger les compétences en actes et les savoirs mobilisés. Ensuite, étant donné l’implantation transnationale des institutions et de leurs lieux de formation, nous analyserons les circulations des savoirs, des supports et des personnes. Comment, à partir des centres et des périphéries, les clercs s’organisent-ils ou non en réseaux ? Comment cette structure hiérarchique mouvante marquée par la notoriété de certaines institutions et formateurs a-t-elle des incidences sur les modes de légitimations ? Nous nous intéresserons aux processus de légitimation organisés par les institutions et validés ou invalidés par les fidèles, et étudierons les nouvelles modalités d’intervention des clercs dans l’espace public ainsi que leurs rapports au champ politique.

Partenaires :

Laboratoires et personnels associés au séminaire

Boissevain, Katia, Idemec, CNRS/AMU, Aix-en-Provence

Boursin, Marie-Laure, CHERPA/Idemec, Sciences Po Aix-en-Provence

Frégosi, Franck, CHERPA, Sciences Po Aix-en-Provence

Mervin, Sabrina, CéSor, Ehess, Paris

Neveu, Norig, Iremam, CNRS/AMU, Aix-en-Provence

Calendrier prévisionnel :

25 octobre 2018, MMSH, PAF, 14h00-16h30

Séance introductive

  • Franck Frégosi (CHERPA, Sciences Po Aix-en-Provence), Présentation des résultats du programme « L’organisation de l’Islam en France. L’exemple du statut des ministres du culte musulmans dans le cadre des mosquées »
  • Lisa Anteby (Idemec-CNRS), « Défis et débats autour des fonctions religieuses publiques féminines dans le judaïsme orthodoxe ».

Synagogues « orthodoxes-égalitaires », récitation du kaddish (prière pour les morts) par une femme orthodoxe lors d’un enterrement public ou ordination de « femmes-rabbins » (rabba) par un institut orthodoxe seront quelques exemples que nous présenterons pour illustrer les bouleversements actuels qui ont lieu dans le judaïsme orthodoxe et les débats brûlants qui secouent les communautés juives de par le monde quant à la place des femmes, que ce soit dans l’étude religieuse, l’espace de la synagogue, la prière collective, les fonctions rituelles ou les rôles religieux publics.

Ces phénomènes récents ne peuvent se comprendre qu’en les resituant dans un processus entamé il y a plus de 30 ans, avec les premières revendications de femmes orthodoxes à l’étude des textes religieux dont elles étaient traditionnellement exclues et l’ouverture d’institutions orthodoxes leur offrant des formations avancées en Talmud. Depuis, diverses stratégies de négociation et de contournement ont permis à ces femmes de remettre en cause le monopole masculin en matière de normes religieuses, de savoir juridique juif et de fonction rituelles genrées et de parvenir à des avancées remarquables pour des femmes, dans certains milieux orthodoxes, tout en restant dans le cadre de la loi juive (halakha).

Afin de décrire ces nouveaux développements, nous reviendrons brièvement sur l’histoire des acquis des femmes des courants du judaïsme non-orthodoxe et traiterons plus en détail du développement du féminisme juif orthodoxe, de sa structuration, de ses mobilisations, du militantisme mais aussi de la diversité de ces féministes religieuses.

Nous nous arrêterons ensuite sur trois questions essentielles qui défient le monde orthodoxe : l’accès des femmes à l’étude, l’interprétation et la décision en loi juive ; la place des femmes à la synagogue et dans le rituel religieux ; et les nouvelles fonctions religieuses publiques que les femmes occupent aujourd’hui, y compris cléricales.

Dans un troisième temps nous proposerons différentes approches que les femmes orthodoxes adoptent pour opérer ces changements : 1) la séparation des hommes et la constitution d’espaces entre femmes pour étudier, prier et lire en public la Torah; 2) le « partenariat » avec les hommes, une configuration radicale pour penser l’équité dans l’interprétation des textes et les décisions en loi juive, dans la prière collective et la lecture du texte sacré, et dans les positions de leadership religieux « en partage »; 3) le cheminement « de l’intérieur » et l’investissement d’espaces religieux masculins par des rôles féminins para-rabbiniques qui apportent des transformations sans bouleverser les structures existantes.

29 novembre 2018, Sciences Po Aix – CHERPA, Salle 003, 14h00-16h30

Autorités des clercs en actes et en paroles : entre pratiques et présentation de soi

  • Marie-Laure Boursin (CHERPA/Idemec, Sciences Po Aix-en-Provence), « Légitimité de l’imam en situation : la khutba en France comme exemple ».

La pratique de la khutba (prêche de l’imam à la mosquée le vendredi) nécessite pour l’officiant la maîtrise de divers savoirs (dire, faire et être). Cette présentation, abordera la khutba autour de la « mise en ordre » de ces savoirs dans le contexte français entre eschatologie, exégèse et esthétique, avec l’usage des langues et la préparation de l’imam. À partir d’un terrain ethnographique mené dans le cadre d’une enquête collective sur le statut des imams en France, la khutba et la salât al juma’aseront traitées comme un temps communautaire où apparaissent les liens entre l’imam khaṭîb, les fidèles et les responsables de la mosquée et où se joue des questions de légitimités en actes et en paroles. Le propos qui questionnera la pratique de la khutba comme un art s’organisera autour de trois parties : ‘Écouter et comprendre, puis dire et se faire entendre’, ‘Les temporalités de la khutba : entre préparation et improvisation’ et enfin ‘De l’esthétique de la khutba : du fond à la forme’.

  • Francesco Piraino (Idemec, AMU), « Parcours de vie, formation et présentation de soi des maîtres soufis »

Dans l’histoire de l’islam, les maîtres soufis et leurs disciples ont souvent été liés au pouvoir, en tant qu’autorités religieuses et/ou en tant que figures charismatiques. Au 20e siècle, les confréries soufies maghrébines ont survécu aux attaques des nationalistes arabes, des islamistes et des autorités coloniales. Des nouvelles figures charismatiques ont donné au soufisme une nouvelle vie, attirant des disciples provenant de différents contextes sociaux et culturels.

Dans cette présentation, je montrerai en quoi ces confréries soufies ont adopté de nouvelles formes, comme l’Alawiyya, la Budshishiyya, la Tijaniyya, la Ouazaniyya, la Naqshbandiyya , et la manière dont elles ont créé un réseau fortement présent dans une sphère publique transnationale. Ce réseau soufi est composé par : 1) des autorités religieuses ; 2) des intellectuels ; 3) des artistes ; 4) des acteurs politiques ; et 5) « amis » et sympathisants soufis et non-soufis. Les pays qui composent ce réseau sont principalement le Maroc, l’Algérie, la France, la Belgique, et en second lieu le Niger, l’Espagne, l’Italie, la Turquie et les États-Unis. Il s’agit d’un phénomène transnational mais principalement francophone. Les lieux dans lesquels ce réseau soufi se donne à voir sont les zawiyas, les festivals, les universités.

À partir d’un terrain mené en Algérie, au Maroc, en France et en Belgique entre le 2012 et le 2018, je décrirai la manière dont les objectifs affichés de ce réseau se donnent à voir. Il s’agit principalement de : 1) présenter une autre image de l’islam pour lutter contre l’islamophobie en Europe et l’islamisme en Afrique du Nord ; 2) d’incarner une force morale pour les sociétés (musulmane ou non) ; 3) de former des nouveaux imams ; 4) de favoriser le dialogue interreligieux ; 5) promouvoir la discussion au sein de la communauté islamique. Ce réseau promeut le pluralisme, l’engagement démocratique, le respect des différences, les droits des femmes et l’écologie. Parallèlement, il semble tourné vers une composante élitaire de la société, incapable de comprendre les inégalités sociales surtout dans le cadre maghrébin. De plus, au Maroc, la proximité de nombreux soufis avec le pouvoir remet en question de cet engagement démocratique.

13 décembre 2018, MMSH, DUBY, 09h30-12h00

Les autorités religieuses dans les conversions

  • Sébastien Tank-Stoper (CéSor – Ehess) « Le message, c’est la relation. Le processus de conversion au judaïsme comme expression et comme mise en scène de la relation idéale d’autorité entre rabbins et fidèles. »

En reprenant mes recherches sur les processus de conversion au judaïsme, je m’attacherai à montrer lors de cette intervention comment la mise en conformité des candidats qui se présentent à la conversion au judaïsme ne passe pas tant par l’apprentissage de savoirs intellectuels que par l’apprentissage de dispositions pratiques qui dépassent largement la seule exécution des gestes nécessaires à l’accomplissement des rites – notamment pour les femmes. En ce sens, le processus de conversion apparait davantage comme un processus d’incorporation, comme une « mise en corps », mais qui ne passe pas tant par un apprentissage explicite, rationalisé ou intellectualisé des gestes à accomplir que par la relation tissée entre l’institution et les candidats. C’est en acceptant les termes de la relation que leur imposent les rabbins que les candidats à la conversion deviennent progressivement des « sujets juifs » conformes à l’idée que s’en font les rabbins. Pour paraphraser la célèbre phrase du sociologue des médias canadien Marshall McLuhan, le message, c’est le medium, c’est la relation.

Le giyyur, le processus par lequel un non-juif devient juif, peut ainsi être saisi comme un dispositif à travers lequel se construit la relation idéale d’autorité entre rabbins et fidèles, relation d’autorité qui incarne la relation idéale des juifs à la Loi. Il y aurait, en quelques sortes, homologie entre la relation idéale à la loi (à la doctrine) et la relation – le corps à corps – instaurée entre les candidats et les rabbins lors du processus de conversion. Entrer dans la relation, entrer dans le dispositif – en accepter les termes, en adopter le langage et les contraintes –, c’est entrer dans l’identité juive ou, pour le moins, dans la conception que chaque institution se fait de l’identité juive. C’est entrer dans une forme de religiosité et, plus largement, dans une modalité particulière de corporéité et de subjectivité juive. Et c’est là sans doute que réside, du point de vue des rabbins, l’enjeu majeur de cette relation sociale singulière qui se tisse avec les candidats à la conversion : c’est le lieu – et sans doute le dernier lieu – où peut s’exprimer et s’énoncer cette relation d’autorité que doivent idéalement entretenir les juifs avec les rabbins, relation qui constitue en quelque sorte l’hypostase de la relation idéale que les juifs doivent entretenir avec la Loi, forgeant elle-même l’économie idéale de la religiosité et de la subjectivité juives.

  • Géraldine Mossière (CEETUM – Université de Montréal) « Nouvelles autorités informelles et “psychologisation” du savoir : le cas des coachs émotionnels auprès des convertis à l’islam au Québec »

Dans les pays d’héritage chrétien, la fragmentation des autorités religieuses dans l’islam, l’importance du virtuel dans la diffusion du savoir, ainsi que l’effet d’approches psychologiques popularisées par la culture du bien-être ont favorisé l’apparition de nouvelles figures d’accompagnement des individus croyants. Celles-ci sont particulièrement actives auprès des convertis que le changement d’affiliation religieuse entraîne habituellement dans un processus d’apprentissage souvent exigeant et laborieux. Dans cette présentation, nous examinons le rôle des « coachs émotionnels » rencontrés au Québec auprès de convertis à l’islam. En présentant la formation de ces acteurs, ainsi que la philosophie de gestion du soi et les compétences d’accompagnement qui en découlent, nous discutons leur influence dans le parcours des nouveaux musulmans. Comment la médiation des coachs émotionnels oriente-t-elle la compréhension et l’appropriation de l’islam ? Nous discuterons l’émergence et les caractéristiques d’un islam des convertis.

17 janvier 2019, Sciences Po Aix – CHERPA, Salle 003, 09h30-12h00

La formation religieuse en contexte

  • Ali Kassem (University of Sussex) “The Hawza in Lebanon: Between Change and Continuity”

A Hawza is the classical establishment responsible for the training of Shia Islam’s Imams, preachers, professors and researchers. With a model holding major differences with that of the western academy, it has long involved the teaching of Jurisprudence, philosophy, Quranic Studies and Arabic language through a non-western pedagogical model. More recently, this model has been significantly challenged and several changes have been making their way into the institution. Most importantly, perhaps, is the introduction of the social sciences, as the systematic study of man and society which are thought to have emerged in the ‘west.’ Based on a triangulation of participant observation, interviews with professors, students and stakeholders as well as content analysis of specific course material, this paper presents the results of a qualitative analysis of the Hawza, based on a case study of Lebanon, to claim it as an institution in metamorphosis. Importantly, while structural and material alterations have straightforwardly made their way, content and curricular ones have faced more difficulty. Exploring these, the paper attempts to unpack the debate and unravel its terms. It closes with a number of reflections on Islamic education, Shia Islam in Lebanon’s public sphere, decolonial theory, Lebanon’s future as well as the geopolitics of the Arab world.

  • Sophie Bava (IRD-LPED – AMU) « Formation chrétienne au Maroc : la fabrique d’une théologie de la migration »

7 mars 2019, MMSH, PAF, 09h30-12h00

La grande question des Autorités féminines

  • Emir Mahieddin (CéSor – Ehess) « La parité protestante. La question du pastorat féminin en Suède »
  • Béatrice de Gasquet (URMIS – Université Paris Diderot) « Styles rabbiniques : est-ce le genre ou le courant qui fait la différence ? »

4 avril 2019, Sciences Po Aix – CHERPA, Salle 003, 09h30-12h00

Circulations et autorités transnationales

  • Gabrielle Angey (IRISSO- Université Paris Dauphine), « Maintenir un régime d’autorité dans une institution transnationale ‘invisible’ : le cas du mouvement Gülen »
  • Norig Neveu (Iremam-CNRS), « Formation, réseaux transnationaux et circulation : les anciens séminaristes de Sainte Anne de Jérusalem au Moyen-Orient dans les années 1920-1940 »

16 mai 2019, MMSH, PAF, 09h30-12h00

Esthétiques religieuses et légitimité normative

  • Séverine Gabry-Thienpont (CREM-LESC), « Cheikh, ra’is ez-zâr, kudiya… Chassés-croisés esthétiques et religieux des officiants du zâr égyptien» 
  • Anis Fariji (Centre Jacques Berque – Rabat) « L’ambivalence des autorités religieuses au Maroc sur la taḥzzabt(une récitation collective du Coran) »

20 juin 2019, MMSH, PAF, 09h30-12h00

Associations professionnelles des cadres religieux : 2 exemples maghrébins

  • Anna Grasso (CHERPA, Sciences Po Aix-en-Provence) « Syndicalisme, islam et l’imâm dans la Tunisie contemporaine »
  • Charlotte Courreye (CERMOM, INALCO) « Les réseaux de formation de l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, des années 1930 à l’Algérie indépendante »

Share This: