Retour de mission : le pèlerinage de l’Arba‘în à Karbala 

Des pèlerins sur la route entre Najaf et Karbala – Crédits : S. Mervin

Historienne contemporanéiste, Sabrina Mervin a peu à peu « glissé » vers l’anthropologie et tente de conjuguer islamologie et sciences sociales, entre les textes et les observations. Les recherches qu’elle mène sur différents terrains du Proche et du Moyen-Orient se polarisent principalement sur deux aspects du chiisme duodécimain contemporain : la fabrique de l’autorité religieuse et les rituels spécifiques de cette branche de l’islam. En Irak, elle s’est d’abord concentrée sur la ville sainte de Najaf, ses oulémas et les écoles qui les forment, ainsi que sur le dispositif de l’autorité propre au chiisme, pour des ouvrages publiés en anglais, mais aussi dans des versions arabes (cf. avec Yasser Tabbaa, Najaf, The Gate of Wisdom. History, Heritage and Significance of the Holy City of the Shi‘a, « World Heritage », Unesco Publishing, 2014; avec Robert Gleave et Géraldine Chatelard (dir.), Najaf: Portrait of a Holy City, Garnet and Ithaca Press, reading et Unesco Publishing, Paris, 2017).

En collaboration avec Géraldine Chatelard, chercheure associée à l’IFPO (antenne d’Erbil, Irak), Sabrina Mervin a ensuite mis en place un projet de recherche sur le pèlerinage de l’Arba‘în, Le pèlerinage de l’Arba‘în : rituels, culture populaire et sociétés, en montant une coopération entre l’IFPO (Institut français du Proche-Orient) et le Karbala Center for Studies and Research, à Karbala.

Le pèlerinage de l’Arba‘în, qui commémore le quarantième jour du martyre du 3e imam, Husayn, lors de la bataille de Karbala en 680, fut « réinventé » après la chute du régime baasiste en 2003. Des millions de pèlerins venus de toutes les régions du pays et des mondes chiites se dirigent vers la ville de Karbala, pour rendre une visite pieuse (ziyâra) au tombeau de Husayn. Ils terminent le chemin à pied, pour la plupart d’entre eux, sur l’une des trois routes qui mènent à Karbala. Là, les expériences se multiplient entre religiosité et souci de soi, hospitalité et partage, pratiques et performances, marche et culture populaire (chants, images, objets, etc.). C’est une umma qui s’imagine.

Ce fait religieux, social, politique et économique de grande ampleur reste sous-étudié par les sciences sociales en raison de sa nouveauté, en tous cas dans la forme qu’il a prise récemment, et des difficultés d’accès au terrain irakien. Sabrina Mervin et Géraldine Chatelard ont marché parmi les pèlerins, en novembre 2018, entre Najaf et Karbala, afin de découper des objets de recherche dans le vaste champ d’études que constitue un tel pèlerinage. Elles ont publié, pour annoncer le pèlerinage de l’année suivante, « Arbaïn, un pèlerinage sous tension à Karbala », dans la revue en ligne Orient XXI.

Géraldine Chatelard a choisi de concentrer ses travaux sur les formes d’hospitalité mises en œuvre par les habitants de Karbala et par des Irakiens organisés en groupes de volontaires qui, pour se mettre au service de leur imam, servent les pèlerins se rendant à son mausolée. Ces services et l’hospitalité offerts pendant la visite de l’Arba‘în ont été inscrits par l’UNESCO sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2019.

 Sabrina Mervin a choisi de s’attacher particulièrement aux performances réalisées tout au long de la route du pèlerinage. Des groupes constitués se distinguent du  flux des pèlerins pour se produire : certains défilent avec des chars qui mettent en scène le retour de la tête de Husayn (qui avait été amenée à Damas devant le calife victorieux), ou bien avec des carrioles qui diffusent des chants par des haut-parleurs, tout en effectuant des latmiyyât. Cette pratique, consistant à ce frapper la poitrine en cadence, donne lieu à des gestuelles diversifiées, chaque région ou ville ayant développé sa manière de faire. Au bout de la route, tous les chemins qui mènent à Karbala convergent vers une dernière ligne droite : là, des groupes effectuent une dernière performance, les uns après les autres. Jour et nuit, ils se succèdent.
En octobre 2019, Sabrina Mervin est retournée à Karbala pour filmer les pèlerins, les groupes qui se chargent de les accueillir et de faciliter leur périple ainsi que les processions et les rituels. Elle a suivi des groupes d’hommes qui s’adonnent à des performances (les latmiyyât) allant jusqu’à une quasi transe. L’objectif est de réaliser un film documentaire sur ce pèlerinage et les pratiques qui lui sont liées puis à plus long terme, d’approfondir la question de ces performances, qui ont donné naissance à une culture populaire chiite. Son séjour s’est clos sur une conférence donnée à l’Institut français de Bagdad (le 22/10/2019) Karbala, au cœur des mondes chiites.

Sabrina Mervin

Légendes :
Photo 1 : « La foule se densifie et la ferveur s’intensifie à l’approche du sanctuaire »

Photo 2 :  « Des pèlerins sur la route entre Najaf et Karbala »

Crédits : S. Mervin

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