Etudes Byzantines et post-Byzantines

La culture écrite des périphéries byzantines du Moyen-Âge à l’époque moderne

Nouvelle série – Tome II (IX)

Actes de la session organisée dans le cadre du XIIe Congrès international d’études sud-est européennes

(Bucarest, 2-6 septembre 2019)

Paolo Odorico (ed), 2020

Avec notamment les contributions des doctorants du CéSor : Xavier Agati, Nedim Buyukyuksel, Aspasia Dimitriadi, Romina Luzi, Elena Nonveiller mais aussi Charis Messis, chercheur invité de l’EHESS.

Introduction

C’est quoi un centre ? c’est quoi une périphérie ? Notre regard est aimanté par le
pouvoir, et le pouvoir siège dans la capitale, donc dans le centre d’un État. C’est là qui
résident les élites qui gèrent la vie sociale, la vie politique, qui imposent leur façon d’être,
leurs modes, leurs habitudes. Pourquoi donc se pencher sur les aires marginales, qui ne
sont que le reflet pâle de la vie de la cour, où se font et se défont les régisseurs de l’État ?
Certes, l’histoire européenne est riche en exemple d’États qui veulent tout centraliser,
tout contrôler. La France est peut-être l’exemple le plus évident. Mais d’autres réalités,
d’autres histoires, nous montrent la résilience des périphéries, qui font l’histoire d’un
peuple : l’exemple le plus éclatant est probablement celui de l’Italie, incompréhensible
sans se pencher sur les régionalismes, sur la force des aires marginales, qui deviennent
centrales dans le développement de la société, de l’économie et de la culture. Parfois nous
trouvons dans les réalités d’aujourd’hui une bipolarité entre deux centres en concurrence,
et même dans la Turquie du XXe siècle Ankara s’oppose à Istanbul, en Italie Rome à
Milan, au Canada Ottawa à Montréal, aux Etats Unis New York à Washington (sans
compter les autres capitales) : les exemples peuvent se multiplier.
On dit que New York est le centre du monde d’aujourd’hui. Mais en se promenant
dans cette ville tentaculaire, le touriste est étonné de voir que la vie se fait en communautés,
parfois assez imperméables l’une à l’autre, que ces communautés ne sont que les
périphéries de leur société d’origine, ce qui fait de New York la périphérie de toutes les
périphéries, donc le centre absolu, en tant que point d’attraction des marginalités. Et si
les chercheurs qui étudient ces périphéries sont parfois marginalisés, ceux qui s’occupent
de l’Amérique ont le vent en poupe, forts de l’intérêt que le centre suscite. Brisons donc
les idées reçues, car la réalité de la marge est bien puissante et construit l’histoire encore
plus que le centre, même si de façon plus discrète et résiliente. Et penchons-nous sur le
Sud-Est européen, qui nous occupe ici, dans la longue durée qui va de Byzance à la fin
de l’Empire Ottoman. Penchons-nous sur l’histoire culturelle d’une vaste région qui a
déterminé les mouvements du centre, et à son tour en a été déterminée, cette région qui
n’a pas de centre au-delà de Constantinople, mais qui connait un ensemble de centres
vivants et actifs.
Certes, une histoire culturelle de la périphérie du Sud-Est européen mériterait une
étude complète et autonome ; dans le contexte de ce Congrès nous nous limitons à des
échantillons de culture écrite, disposés chronologiquement tout au long du deuxième
millénaire, du XIe au XIXe siècle. Mais qui dit culture écrite, dit avant tout littérature,
10 Introduction
donc représentation, car le propre de la littérature, même (ou avant tout) historiographique,
est de représenter une réalité, non de la rapporter : il s’agit de construire des imaginaires
parlants, de construire des idéologies, de justifier la politique du pouvoir. C’est pourquoi
dans ce volume le lecteur trouvera l’imaginaire relatif à la montagne de l’Athos, la sainte
montagne censée être le berceau de la spiritualité byzantine, oubliant volontiers son impact
économique ; l’image des « seigneur de la guerre », brigands pour les uns, héros pour les
autres ; la construction de la figure du saint prince dans le Roman de Barlaam et Josaphat,
riche en enseignements pour le pouvoir ; les sacrifices d’animaux en l’honneur de certains
saints, racontés du point de vue des pratiques et des leurs condamnations ; l’écriture des
romans dans un Empire byzantin aux abois ; la représentation des ennemis ottomans qui
conquièrent les villes byzantines ; la construction de l’histoire dans la chronique Palaya,
adaptation de récits byzantins ; la représentation de la capitale ottomane, jadis byzantine,
dans le journal de voyage de Paul d’Alep ; l’imagerie historiographique de Césaire
Dapontès ; la construction de l’histoire byzantine au moment du réveil nationaliste en
Grèce ; l’image du Despotat d’Epire dans la vision grecque du XIXe et XXe siècle.
Chaque intervention, qui lors du Congrès a donné lieu à une riche discussion,
mérite attention et réflexion : ce ne sont pas les derniers mots, loin de là, mais ce sont
de point de départ pour des approfondissements. Une façon de mettre en relief l’histoire
d’une périphérie européenne parmi les plus riches d’Europe.

Paolo Odorico

Sommaire

Les auteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Paolo Odorico
Commonwealth athonite ? Une question de périphéries. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Sergio Basso
Circulation périphérique et « fluidité » des textes : l’exemple du Barlaam kai
Ioasaph au XIe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Nedim Buyukyuksel
Among Thieves and Ravenous Wolves: Brigands and warlords in the 11th century
Byzantine East. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Charis Messis
Lorsque la périphérie assiège et conquiert le centre : certains aspects des relations
entre Byzantins et Turcs, XIIe et XV e siècles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Romina Luzi
Les romans paléologues de la « périphérie byzantine ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Elena Nonveiller
Quelques attestations de sacrifices animaux en l’honneur de saints locaux circulant
dans l’aire chypriote autours du XIVe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Sabine Fahl, Dieter Fahl
What did a Novgorodian monk do in the early 15th century with South Slavic
translations from Greek originals? Literary Strategies in the Short Chronographic
Paleya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Ioana Feodorov
Un Syrien rêvant de Byzance : Paul Ibn az-Zaʻīm à Constantinople en 1652. . . 139
Xavier Agati
Le texte comme manifeste politico-théologique : Transmettre Byzance aux sujets et
vassaux chrétiens de l’Empire Ottoman au XVIIIe siècle. Le cas du Livre des Règnes
de Césaire Dapontès (1770-1774). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Aspasia Dimitriadi
Lectures de Byzance chez les intellectuels grecs du XVIIIe siècle. . . . . . . . . . . 173
Efstratia Synkellou
The reception of the “Despotate” of Epirus in Modern Greek historiography
(19th – early 20th centuries). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Chronique de l’activité de la Société roumaine d’études byzantines. . . . . . . . . 209

Les auteurs

Xavier Agati est doctorant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre
d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris.
Sergio Basso est docteur en philologie byzantine de l’Université Roma 3.
Nedim Buyukyuksel est doctorant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales,
Centre d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris, et Lecteur d’Anglais à
l’Université Paris-Est Créteil (UPEC).
Aspasia Dimitriadi est docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre
d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris.
Sabine Fahl (Ph.D.) et Dieter Fahl (Berlin/Greifswald) participent au projet “The Short
Chronographic Paleya. Edition, German translation and commentary” à la Faculté de
Théologie de l’Université Greifswald.
Ioana Feodorov est chercheur habilité à l’Institut d’Études Sud-Est européennes de
l’Académie Roumaine, où elle dirige le programme de recherches « Les relations du Sud-
Est européen avec le Proche Orient et le Caucase », et où elle enseigne aussi la langue
arabe.
Charis Messis est enseignant-chercheur à l’Université Nationale et Capodistrienne
d’Athènes.
Romina Luzi est doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre
d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris.
Elena Nonveiller est doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre
d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris.
Paolo Odorico est directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales,
Centre d’études en sciences sociales du religieux (CéSor), à Paris.
Efstratia Synkellou est professeur assistant d’histoire byzantine au Département d’Histoire
et Archéologie de l’Université de Ioannina.

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