Empires et religions, XIXe-XXIe siècle

Journée d’études de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine, 24 septembre 2022

Le terme d’empires est désormais bien implanté dans le paysage historiographique français, et la définition de Jane Burbank et Frederic Cooper peut être ici reprise pour en donner les premiers contours : « vastes unités politiques, expansionnistes ou conservant le souvenir d’un pouvoir étendu dans l’espace, qui maintiennent la distinction et la hiérarchie à mesure qu’elles incorporent de nouvelles populations » (Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires in World History. Power and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 2010). Derrière les notions d’expansion et de hiérarchie, c’est une variété très importante d’empires que l’on peut prendre en compte pour la période contemporaine : empires austro-hongrois, russe, ottoman ou encore chinois ; empires coloniaux, hérités de la période moderne ou nouveaux venus, européens mais aussi américains et japonais ; empire fasciste, empire nazi, voire empire soviétique.
Tous ont été confrontés à la diversité religieuse et y ont apporté des réponses variées, depuis la tentative d’imposition d’un monothéisme religieux (l’empire espagnol) au maintien et à la gestion de cette diversité (la dhimmitude dans l’empire ottoman). La question de la hiérarchisation des religions par les Européens est également essentielle, qui établit une échelle de valeur, du paganisme – aussi bien animisme et chamanisme que bouddhisme et culte des ancêtres – aux monothéismes. Le sujet des missions, enfin, connaît d’importants renouvellements.
Face à une impossible synthèse, l’enjeu de la journée d’études est de proposer plusieurs pistes de réflexion autour de l’axe « empire », dans une période qui va de la fin du XVIIIe siècle au début du XXIe siècle, permettant ainsi d’entrer en dialogue avec les historiographies de la période moderne ainsi que postcoloniale. L’objectif est aussi de mettre en valeur des travaux récents, des approches renouvelées et des questions exploratoires. À cette fin, quatre axes sont envisagés, qui laissent une part importante aux phénomènes coloniaux et aux missions, mais sans s’y limiter :

– les liens entre pouvoir impérial et sujets impériaux/minorités impériales à travers la religion. À partir de la représentation de l’autre comme un autre ou de l’autre comme un soi-même (Paul Ricœur), deux types de relations voient le jour. Dans le premier cas, il s’agit d’une relation conflictuelle, d’une déculturation, de « religions assassinées » (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950). Dans le second, il y a la possibilité d’un dialogue, par exemple islamo-chrétien, de transferts culturels (Rudyard Kipling, « La Loge-Mère », 1896 : « Mahomet, Dieu et Shiva jouaient à cache-cache dans nos têtes »). Sans doute peut-on aussi considérer un éventail de possibilités entre ces deux situations, qui révèlent combien les empires furent le lieu de confrontations, d’oppositions, de révoltes, mais aussi d’échanges (à tous les niveaux : théologiques, mais aussi culturels, ou dans les pratiques), d’emprunts, d’appropriations. On pourra aborder les formes de réappropriation des normes impériales par les élites locales, les formes de syncrétisme, des tentatives de christianisation ou d’encadrement de cultes locaux par les Églises.

– les identités missionnaires, féminines et masculines. Cela renvoie aux questions déjà travaillées des liens entre colonisation et mission, mais on souhaiterait encourager les études sur l’engagement féminin missionnaire dans les empires, qu’il s’agisse des congrégations féminines ou d’autres actrices au sein des empires. Quels liens entretiennent ces femmes avec les populations sur place ? Avec les missionnaires masculins ? Au-delà des confrontations et des collaborations entre missionnaires sur le terrain, en fonction des appartenances impériales, nationales et religieuses, l’objectif est de prendre en compte le genre, afin d’étudier le partage des tâches au quotidien ainsi que les identités véhiculées par les missionnaires dans les sociétés impériales.

– les soubassements idéologiques, voire théologiques, qui fondent l’action religieuse sur le terrain. Peut-on proposer des distinctions en fonction des différentes organisations, qui se manifesteraient – ou non – dans les pratiques de terrain, dans le choix des activités, dans le rapport aux populations locales ? Cela revient à comprendre les motivations, personnelles et collectives, derrière les œuvres d’enseignement, de soins, ou plus généralement humanitaires.

– spatialités religieuses à l’intérieur des empires. Comment penser le lien entre urbain et rural à travers la religion ? Il y a une concentration d’établissements religieux dans les villes (lieux de culte, écoles, collèges, orphelinats, cimetières, etc.), mais les missions se trouvent aussi au cœur des campagnes avec pour projet de créer des villages de convertis comme les réductions jésuites au Paraguay. Les chrétiens veulent se rendre visibles dans le paysage (cf. Notre-Dame d’Afrique à Alger). D’autres exemples peuvent illustrer cette emprise spatiale du religieux dans les empires, qui renvoie à la place du fait religieux dans les sociétés.

Les propositions de communications – de 500 mots maximum et accompagnées d’une brève présentation de l’auteur – sont à envoyer avant le 30 mars 2022 à Marie de Rugy, derugy@unistra.fr, avec pour objet « AFHRC ».

 
Comité scientifique :
Marie-Emmanuelle Chessel (CNRS, CSO, Sciences Po Paris), Charlotte Courreye (Jean Moulin Lyon 3), Michel Fourcade (Paul-Valéry Montpellier 3), Frédéric Gugelot (Reims Champagne-Ardenne), Frédéric Le Moigne (Bretagne occidentale), Marie Levant (Gerda Henkel Stiftung), Charles Mercier (Bordeaux), Olivier Sibre (Institut Georges Pompidou, Paris), Claire Toupin-Guyot (IEP de Rennes), Nina Valbousquet (École française de Rome).

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