Deux ateliers organisés en novembre aux Archives nationales autour des fonds Le Bras (4 novembre) et Ortigues (25 novembre)

Au travail en archives avec Gabriel Le Bras

Archives nationales

(59 rue Guynemer, 93380 Pierrefitte-sur-Seine, Métro Saint-Denis-Université, ligne 13)

Vendredi 4 novembre 2022

9h30-18h

CETTE SÉANCE EST ANNULÉE

Le nom de Gabriel Le Bras (1891-1970) résonne avec fréquence lorsqu’il s’agit d’histoire ou de politique des sciences sociales au vingtième siècle. Son parcours intellectuel et académique demeure cependant méconnu : figure de référence de la sociologie de la pratique religieuse, l’ampleur de son autorité institutionnelle est restée largement discrète, et presque insaisissable. Professeur d’histoire du droit canonique durant près de cinquante ans, à Strasbourg, puis à Paris, il joua dès 1944 un rôle décisif au sein du comité directeur du CNRS, en participant à la création du Centre d’Études sociologiques en 1946, comme à celui du Centre de politique étrangère du côté de la Fondation nationale des Sciences politiques ; surtout, il fut, en 1947-1948, avec Lucien Febvre, en tant que président de la Ve section de l’École pratique des hautes études (ÉPHE), le véritable parrain d’une VIe section de « sciences économiques et sociales » aux origines mêmes de ce qui allait devenir plus tard l’École des hautes études en sciences sociales (ÉHESS). Au total, ce parcours compose un genre de ministère invisible, où le droit, la science religieuse et la science sociale marchent en cadence, sinon main dans la main. La cohérence et la complémentarité institutionnelle ne résistent toutefois pas au temps et aux rapports de forces disciplinaires, ce qui explique pourquoi la mémoire savante de Le Bras est, en quelque sorte, segmentée, à la charnière du droit, de l’ecclésiologie, de la sociologie et des sciences politiques.
Ce n’est pas le cas en revanche de ses archives, dont l’intégrité et la complétude ont pu être préservées de manière exceptionnelle, correspondances et papiers d’affaires les plus ordinaires en apparence y compris. Afin de conserver la fragilité des passerelles sans cesse entretenues par Le Bras entre les réseaux et les disciplines, le fonds, donné à l’ÉHESS en 2011, et déposé aux Archives nationales en 2013, reste organisé selon la topographie de l’espace de travail ou de stockage de Le Bras. Ceci suppose donc un important traitement documentaire, afin de pouvoir envisager des recherches dans un ensemble archivistique de plus de 50 mètres linéaires. Une expérience d’envergure et inédite, susceptible de servir de précédent pour l’ensemble du département archives des sciences sociales du Campus Condordet, vise à transformer le traitement intellectuel et matériel du fonds en un vaste programme d’études interdisciplinaires : en croisant l’observation documentaire et l’analyse sociologique et historique de l’itinéraire de Le Bras et de ses réseaux académiques, ecclésiastiques et politiques, tout en prenant en compte les techniques du savant au travail, il s’agit d’examiner les sciences religieuses au travail des sciences sociales et des savoirs juridiques, entre les années 1920 et les années 1970. L’atelier proposé doit permettre, après deux rencontres (décembre 2018 et février 2020) de faire le point sur le travail accompli collectivement depuis plusieurs années et de dégager des perspectives d’avenir.

Liminaire : Le sens d’un projet collectif

1. Gabriel Le Bras en ses archives (Yann Potin)
2. L’organisation des sciences humaines et sociales
– Gabriel Le Bras, « ministre » des sciences humaines et sociales : discussion de la contribution de Thomas Hirsch, « Vers un “nouvel Adam”. L’enthousiasme savant de la Libération et les sciences humaines », Revue d’histoire des sciences humaines,37/2020, p/ 235-258 (Pierre Lassave)
– Gabriel Le Bras et le CNRS (Jean-Louis Halpérin)
3. L’Église dans son histoire
– La paroisse dans l’œuvre de Gabriel Le Bras, historien du droit canonique (Brigitte Basdevant-Gaudemet)
– Genèse et réalisation de L’église et le village (Dominique Iogna-Prat)
4. Le passeur de frontières
– Les rites et leurs sciences (Alain Rauwel)
– Épistémologie de la science canonique (Carlo Fantappiè)

Edmond et Marie-Cécile Ortigues
entre histoire des religions, philosophie, anthropologie et psychanalyse

Vendredi 25 novembre 2022 (10h-18h)

Pour introduire
De la théologie aux sciences humaines et sociales
Après sa sortie de l’Église, au milieu des années 1950, Edmond Ortigues n’a jamais cessé de s’intéresser à l’exégèse, à la critique textuelle, à la théologie et aux problèmes d’histoire des religions. Mais pourquoi ne s’y est-il pas cantonné comme tant d’autres clercs savants « réduits » à l’état d’intellectuels laïques ? Pourquoi Ortigues, qui fréquente, au début des années 1950, le séminaire de Georges Dumézil à l’École Pratique des Hautes Études, n’est pas tout simplement devenu historien des religions. Pourquoi choisit-il de devenir philosophe ? Une remarque faite en passant au cours des Entretiens de Courances (p. 129) livre sans doute la clé : « La théologie se ramène finalement à un problème social, à une sorte de symbolisme social… » Va donc pour le « social » et pour le « symbolisme » : c’est le programme que, dans l’immédiat, remplit la thèse de doctorat d’État de philosophie soutenue en 1959, Le discours et le symbole. À plus long terme, il s’agit pour lui de reprendre inlassablement ce qui a institué la théologie à la fois comme forme de discours et comme cadre de réflexion sur l’humain et ses modes de socialisation. D’où le constant intérêt d’Ortigues pour les sciences humaines et sociales historiquement issues des sciences religieuses, aussi bien à l’étude des sociétés traditionnelles où se confondent religion et droit qu’à celle des sociétés modernes laïques en quête de leur « sens » dans l’invention de la psychologie, de la sociologie et de l’anthropologie. Les notes de lecture qu’il livre dès 1951 sur la psychanalyse ou le culturalisme américain donnent une bonne idée de la précocité de cette ouverture.

Le discours et le symbole
En 1961, Ortigues est nommé professeur à l’Université de Dakar où il crée le département de philosophie. Sa thèse, Le discours et le symbole, est publiée l’année suivante chez Aubier. Le livre « fait l’effet d’un météorite tombé d’ailleurs » (V. Descombes), ne serait-ce que par la rencontre, dans son vocabulaire, de termes alors associés à l’avant-garde théorique (« signifiant », « symbolique », « structure », « loi de l’échange ») et d’autres venus d’une tradition théologique ou scolastique » oubliée des philosophes contemporains. Cette œuvre majeure représente d’abord un saut en dehors de la philosophie moderne de la conscience et de ses encombrantes hypostases (« le moi », « le soi »), une tentative pour poser le problème de la personne humaine en termes de situation langagière, de fonctions d’interlocution, de système de communication, l’identité personnelle étant affaire de contexte propre à définir la position de l’être de langage. C’est aussi et surtout, comme l’a justement noté Vincent Descombes, « une mise au point sur les enjeux philosophiques de l’anthropologie structurale » qui permet de poser avec clarté le problème de la causalité formelle du social. Dans sa critique des thèses de Durkheim et de Mauss, Lévi-Strauss notait l’impossibilité d’expliquer le symbolisme en termes sociologiques, ce qui l’amenait à parler de l’origine symbolique du social et non pas d’une origine sociale du symbolique. C’est cette voie que poursuit Ortigues quand il soutient que « partout où se rencontre une société humaine, le langage est déjà là », la société prenant « forme dans le langage qu’elle se donne » (Le discours et le symbole, p. 25). L’étude des sociétés suppose donc d’adopter un point de vue structural pour dégager les « conditions de sens » qui permettent aux hommes en communauté de symboliser leurs liens d’appartenance et leur solidarité de destin. On trouve là in nuce les innombrables ramifications de l’œuvre à venir dans les domaines de l’anthropologie et de la psychologie comparée.

Œdipe africain
À la fin de l’année 1962, pour répondre aux difficultés de la pratique psychiatrique en Afrique, Henri Collomb décide d’ouvrir à la Clinique neuro-psychiatrique du centre hospitalier de Fann à Dakar une consultation de psychologie qu’il confie à Marie-Cécile Ortigues, psychanalyste et issue d’une famille de voyageurs. Très vite Marie-Cécile Ortigues constate : « dès les premières rencontres avec les consultants, j’ai perçu que je ne comprenais rien à ce qui m’était offert ; je me trouvais vraiment ailleurs. Il m’a fallu consentir à ne rien savoir et renoncer à toute forme de maîtrise ». Un groupe de recherche se crée réunissant psychiatres, psychologues, ethnologues, qui confrontent leurs expériences cliniques, ethnographiques et sociologiques. Edmond Ortigues y participe. Ce groupe a été parfois désigné comme l’« École de Fann » mais lui-même a récusé cette expression estimant qu’elle masquait les divergences, pour lui essentielles, entre la position qui était la sienne d’analyste des faits religieux, soucieux de donner toute leur place aux cultes ancestraux et à une vision du mal conçu comme signe divinatoire, et le point de vue d’Henri Collomb qui se voulait novateur sur le plan institutionnel en introduisant la compréhension des « guérisseurs » dans le champ de la psychiatrie. En 1966 paraît chez Plon, dans la collection « Recherches en sciences humaines » dirigée par Éric de Dampierre, Œdipe Africain écrit avec Marie-Cécile Ortigues. Cette première édition contient un chapitre théorique qui fait référence aux concepts lacaniens, alors que la troisième édition (1984) marque de notables distances avec ce type de formulations pour développer une théorie plus personnelle centrée sur la question de l’individualité humaine. Il suffit ici de rappeler brièvement la thèse exposée dans l’ouvrage. Les premières bases de l’identité personnelle se présentent comme un problème de repérage de l’enfant par rapport à ses origines. Les observations cliniques réalisées par Marie-Cécile Ortigues à Dakar ont montré que la référence au père s’imposait de manière explicite, centrale, dans tous les cas, même chez les enfants élevés par leurs oncles maternels, ou chez ceux qui n’avaient pas connu leur père. Cette référence se présente toutefois de manière différente de celle que l’on observe en Europe. Le père n’est qu’un chaînon dans le lignage. S’identifier à lui revient à s’intégrer dans une classe d’âge. La rivalité tend alors à se déplacer sur les « frères », les égaux rivaux, en même temps que l’agressivité refoulée par la loi de solidarité se retourne en interprétations persécutives.
En 1966, Edmond Ortigues est nommé professeur à l’Université de Rennes. Le travail des Ortigues avec des cliniciens se poursuit à Rennes puis à Paris, nourri de l’expérience acquise en Afrique et aboutit à la publication de deux ouvrages écrit à quatre mains : Comment se décide une psychothérapie d’enfant (Paris, 1986, 1993, 2005) et Que cherche l’enfant dans les psychothérapies ? (Paris, 1999, 2002). À Dakar, les différences culturelles imposaient de rester aussi proche que possible des formes d’expression adoptées par les consultants. Ce principe s’applique également en France se traduisant par une plus grande flexibilité des conventions organisant le cadre des entretiens et par une attention accrue à la dépendance des positions interpersonnelles entre les générations. L’enfant, soulignent Marie-Cécile et Edmond Ortigues, emprunte à ses ascendants ses premiers repères, des formes de réaction, des traits significatifs avec lesquels il recompose son style propre. Il appartient au thérapeute de laisser se développer des alternatives, en suscitant les conditions qui rendent possibles l’appropriation par chacun de choix personnels.

L’atelier organisé par le CéSor aux Archives nationales, où sont désormais déposées et rassemblées les archives d’Edmond et Marie-Cécile Ortigues, vise à la fois à reconstituer un parcours commun entre histoire des religions, philosophie, anthropologie et psychanalyse, et à scruter avec attention le moment de bascule qu’a représenté le décentrement du séjour à Dakar.

Programme

10h-12h30
En forme de transition :
– L’un et l’autre, de l’un à l’autre, l’un avec l’autre et tant d’autres (Dominique Iogna-Prat)
– les « O » en leurs archives (Yann Potin)

Le dossier Œdipe africain
– Les archives de l’Œdipe (Anne Duthilleul et Doris Bonnet)
– Une œuvre en devenir (Vincent Mussat)

Déjeuner

14h-18h
Edmond Ortigues, linguiste et logicien (Frédéric Fruteau De Laclos)

Les Entretiens de Jussieu (Jean Cassanas, Vincent Mussat)

Edmond Ortigues, les « périodes » de l’œuvre (Marie Tafforeau)

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