Séminaire Ecclésiologie : éléments pour l’histoire d’une discipline (XVIIIe-XXe s.) – Année 2015-2016

Érudition, sciences sociales, théories institutionnelles

Séminaire organisé par Frédéric Gabriel (CNRS),

Dominique Iogna-Prat (EHESS-CNRS), Alain Rauwel (université de Bourgogne)

dans le cadre de l’EHESS, du CéSor (Centre d’études en sciences sociales du religieux),

du CNRS (Institut d’histoire de la pensée classique),

de l’ENS de Lyon, et du Labex COMOD (Université de Lyon)

 

ENS de Lyon & EHESS (Paris)

Ce séminaire s’intéresse à la genèse historique des catégories qui façonnent en partie notre compréhension spontanée des entités institutionnelles. Aussi, loin de reléguer la longue construction chrétienne de l’objet « institution » dans l’irrationalité, dans le cynisme hiérocratique, ou dans le pur faire-valoir préhistorique d’une rationalité contemporaine, nous nous concentrons au contraire sur l’étude de la forte architecture élaborée au cours des siècles, par ce que l’on peut désigner aujourd’hui sous le nom d’ecclésiologie, et qui par excellence pense ce qu’est une société. Balayant un champ large, des charismes jusqu’aux élaborations normatives techniques, ces théories diverses de l’institution sont d’une richesse qui reste souvent inexploitée. Il s’agit donc, non seulement d’explorer ces nombreux textes et leurs subtilités, mais aussi de les comprendre à l’aune des conceptions de la société et de la constitution des découpages disciplinaires dont ils sont en partie dépendants.

Ainsi, notre perspective ne se rattache pas à ce qui est habituellement publié sous le nom d’ecclésiologie, comme le volume Exploring Ecclesiologyde Brad Harper et Paul Louis Metzger (Grand Rapids, 2009). Le sous-titre fera d’emblée comprendre notre réticence : « An Evangelical and Ecumenical Introduction ». Notre enquête est non pas confessionnelle mais historique et contextuelle, croisant l’histoire, la philosophie, la sociologie religieuse, l’histoire du droit, la science des rites, la théologie et les sciences politiques (qui, en France au moins, minorent souvent l’Église comme type de gouvernement). Si l’ecclésiologie peut paraître comme un objet curieux et exotique, elle est pourtant présente comme terrain nourricier de thématiques qui ont connu un succès certain : la construction juridique, les origines canoniques de l’administration, le problème « théologico-politique », la dynamique conciliaire, le corps mystique, la place de la religion dans la cité ; autant de perspectives qui définissent une rationalitéinstitutionnelle spécifique. Toutefois, c’est bien souvent en minorant l’ancrage ecclésiologique, qu’il soit structurant ou interstitiel, que l’on utilise ces termes.

À l’inverse, ce séminaire entend reconstituer de manière archéologique le soubassement d’une discipline relativement ignorée du public cultivé, ou de l’université laïque. D’où sa dimension érudite, au sens de l’importance du doctrinal, du scholarship, et de la tradition dense dans laquelle il s’insère : comment l’histoire est-elle écrite au regard de tel ou tel présent, comment le présent est-il compris par le prisme de tel ou tel passé ? En effet, la constitution de l’ecclésiologie est d’autant plus importante qu’elle se conçoit par principe sur le temps long, mais elle révèle surtout les nœuds problématiques d’une histoire en prise avec le présent et qui est issue de conflits confessionnels profonds. Tout l’intérêt de la reconstitution critique de cette discipline est de proposer une morphologie religieuse de l’Europe récente qui mette en évidence la dynamique des courants, des écoles, la circulation de leurs idées, et les différents concepts qui servent de lieux de rencontre mais aussi de combats. En effet, c’est bien simultanément que l’ecclésiologie écrit son histoire et se confronte au contemporain (individualisme, sécularisation, démocratisation, séparation de l’Église et de l’État). Notre enquête ne se veut pas encyclopédique, mais elle entend déterminer ces nœuds problématiques, mettre en évidence des lignes thématiques, et préciser leurs congruences ou leurs ruptures. En résumé, il s’agit de mieux faire apparaître les liens entre ces thématiques, leurs milieux, les réseaux, et les paradigmes qui y circulent. Trois gains sont attendus : une libération des schèmes traditionnels de lecture, une meilleure connaissance réflexive de la constitution des découpages disciplinaires (leur histoire compte d’ailleurs en elle-même), un renouvellement dans la lecture de ces doctrines et de ces corpus grâce à cette distance historiographique et critique.

Ce séminaire, qui en est à sa deuxième année, vient prolonger un programme dont les premiers résultats sont publiés en ligne (http://cem.revues.org/12743) : Les nouveaux horizons de l’ecclésiologie : du discours clérical à la science du social.

  1. Regards allemands sur l’ecclésiologie et le théologico-politique

26 novembre 2015

[Lyon, ENS, site Buisson (D6), 19 allée de Fontenay, salle de réunion 1]

Accès : http://www.ens-lyon.eu/informations-pratiques/acces-a-l-ens-de-lyon–81546.kjsp

Les relectures du débat entre Schmitt et Peterson auront été ces dernières années la voie royale vers un réinvestissement du champ théologico-politique : le séminaire s’y est déjà arrêté. Mais l’œuvre du patrologue et théologien allemand dépasse largement son moment polémique ; c’est sans doute quand elle se place à la jointure du liturgique et du politique qu’elle est la plus originale, autour de la figure angélique et de sa fonction primordiale d’acclamation. En privilégiant ainsi les images de la cité céleste sur celles de l’incarnation dans l’ici-bas, elle a contribué à arrimer toute une partie de la réflexion sur l’Église au xxe siècle (dont Daniélou est un bon représentant) au pôle eschatologique, tout imprégné de lexique biblique. C’est dire si la prise en compte des discours issus du judaïsme s’impose. Taubes y fait entendre une voix éminemment originale, sensible non seulement aux ambiguïtés du paulinisme mais aussi au rôle séminal du joachimisme pour la pensée moderne. Buber, lui, revient aux fondements du principe monothéiste en montrant l’incompatibilité entre les monarchies humaines et l’unique monarchie divine : il boucle ainsi, d’une certaine manière, la boucle d’une interrogation qui aura véritablement hanté la culture germanique contemporaine.

9h30-12h30 :

Introduction, par Alain Rauwel

  1. Le judaïsme comme problème politique. Y a-t-il un concept de souveraineté dans la Mishnah ?, par Ron Naiweld (EHESS, CRH)
  2. À propos des anges des nations. Le problème théologico-politique du nationalisme selon Peterson, par Michel Senellart (ENS de Lyon, UMR Triangle)

14h30-18h30 :

  1.  Peterson et l’acclamation,  Emiliano Rubens Urciuoli (Université de Turin)
  2. La préexistence de l’Église dans l’historiographie et la théologie, entre Peterson et Daniélou, par Michel-Yves Perrin (EPHE, LEM)
  3. Jacob Taubes : entre messianisme et théologie politique, par Elettra Stimilli (Scuola Normale di Pisa)

Discutants : Philippe Büttgen (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Anne Lagny (ENS de Lyon), Pierre-François Moreau (ENS de Lyon)

 

  1. Magistère et romanisme : l’importance de la structuration pontificale

3 décembre 2015

[Paris, EHESS, bâtiment France, 190-198 avenue de France, 13e arrdt., salle 15]

La mégalocéphalie romaine est chronique dans le catholicisme latin. Mais elle connaît une forte poussée au xixe siècle, particulièrement à l’occasion du long pontificat de Pie IX et de cet apogée paradoxal qu’est le Ier concile du Vatican. Le siège romain contrôle désormais la vie ecclésiale jusqu’en ses détails les plus infimes, en s’appuyant sur une puissante machine bureaucratique. Cela suscite des oppositions, mais répond aussi à un puissant « désir de Rome », soutenu par une Publizistik qui n’avait jamais été aussi active depuis la crise grégorienne. La théologie accompagne ce mouvement, d’autant plus que la Ville abrite alors ses principaux foyers d’élaboration et de diffusion ; une « école romaine » dominée par les jésuites y réduit de facto le De Ecclesia à un De primatu, déployant pour ce faire une débauche de technicités en forme de dernier feu d’artifice de la scolastique. Institution, opinion, discours savant et parole magistérielle convergent ainsi en une exaltation inédite de la « troisième blancheur » du cardinal Pie, ou de la cinquième personne de la « divine quintinité » chère à Oscar Panizza.

9h30-12h :

Introduction, par Alain Rauwel

  1.  L’invention du grégorianisme au XIXe siècle, par Charles de Miramon (EHESS, GAS)
  2. Le bref “Tuas libenter” de 1863, manifestation de l’ecclésiologie néo-scolastique et acte décisif du magistère pontifical, par Franz Xaver Bischof (Université de Munich)

13h30-18h :

  1. Les deux faces de l’ecclésiologie romaine et la clôture de l’âge posttridentin. Le traité de l’Église selon les théologiens jésuites des années 1840 à la fin du XIXe siècle, par Sylvio De Franceschi (EPHE, LEM)
  2. Giovanni Perrone and the Roman School of Theology, par Charles Michael Shea (Seton Hall University, New Jersey)
  3. La romanité comme symptôme : la Rome de Zola, par Alain Rauwel (Université de Bourgogne, CéSor)

Discutants : Benoît Schmitz (ENS, Paris), François Jankowiak (Université Paris-Sud)

III. Ce que le littéraire fait à l’Église

10 mars 2016

[Paris, EHESS, bâtiment France, 190-198 avenue de France, 13e arrdt., salle 15]

Le xixe siècle est une période faste pour la mise en récit de l’Église. Son rôle dans la marche des sociétés ou dans le progrès des sciences est un enjeu majeur de la littérature polémique, qu’il s’agisse d’exalter la tradition de Chrétienté ou de vilipender le complot des hommes en noir. La fiction n’est pas en reste. Des Goncourt à Zola et à Huysmans, les romans bruissent du frôlement des soutanes. Et l’on sait désormais à quel point, tant pour les maîtres « fin de siècle » que pour la génération postérieure qui culmine dans La Recherche, le paradigme du lieu d’Église, souvent la cathédrale, est décisif. Au siècle des grands succès publics, cela donne aux débats internes du catholicisme une visibilité sociale nouvelle. Mais il était inévitable que cela agît aussi sur la perception et l’auto-perception de l’Église. D’une certaine façon, le De Ecclesia glisse des facultés de théologie aux cabinets de lecture ; d’objet dogmatique, l’Église devient aussi, et peut-être d’abord, un objet esthétique, susceptible d’appropriations qui n’auront plus grand-chose à voir avec le vieux régime sacramentel et qui pourront prendre, à l’occasion, le parfum capiteux du sacrilège. Celle qui fut la maîtresse du vrai ainsi ramenée au rang de prétexte à fiction, le champ des âmes laisse place à la conquête des imaginaires.

9h30-12h30 :

Introduction, par Alain Rauwel

  1. Histoire de l’ecclésialité et ecclésialisation de l’histoire chez Michelet, par Yann Potin (Archives nationales)
  2. Georges Sand et la vision post-joachimite d’un christianisme sans Église, par Patrick Henriet (EPHE)

14h15-18h30 :

  1. L’Église romaine et la littérature au XIXe siècle : l’action de la Congrégation de l’Index du romantisme au naturalisme, par Jean-Baptiste Amadieu (CNRS-ENS)
  2. L’apparition de la figure sacerdotale dans le champ littéraire, par Frédéric Gugelot (Université Paris-Ouest Nanterre)
  3. Magistère ecclésial et magistère de l’écrivain, par Alexandre de Vitry (Collège de France)

Discutants : Judith Lyon-Caen (EHESS), François Trémolières (Université Paris-Ouest Nanterre), Stéphane Zékian (CNRS, Lyon)

 

  1. Ecclésiologie et tropisme grec : au miroir des origines ?

7 avril 2016

[Paris, EHESS, bâtiment France, 190-198 avenue de France, 13e arrdt., salle Jean-Pierre Vernant]

Héritière de la langue du Nouveau Testament, de la plus importante communauté orientale, et d’une structure survivante de l’Empire, l’Église grecque peut se prévaloir d’un rapport tout particulier à la Tradition et à la géographie où se sont élaborés les fondements dogmatiques de la chrétienté. Elle a aussi fait l’expérience de la minorité avec la domination ottomane de son Siège patriarcal, avant de proclamer son autocéphalie en 1833, période clef pendant laquelle est actif le moine athonite Jacques de Néa Skété. Dans cette deuxième journée consacrée aux ecclésiologies orientales, le domaine grec est exploré du point de vue de la dialectique entre ces origines diversifiées, ses relations politiques, et la conscience de soi développée au sein d’une expression ecclésiologique qui a pu largement dépasser le cadre local, comme en témoigne l’œuvre de Jean Zizioulas.

9h30-12h30 :

Introduction, par Frédéric Gabriel

  1. Église visible et Église invisible dans la Confession orthodoxe de Jacques de Néa Skété (1834), par Vassa Kontouma (EPHE – IFEB)
  2. L’ecclésiologie eucharistique du métropolite Jean Zizioulas, par Michel Stavrou (Institut Saint-Serge, UMR Orient et Méditerranée)

14h15-17h15 :

  1. Ecclésiologie et nationalisme : le cas de l’Église de Grèce, par Alexis Chryssostalis (UMR Orient et Méditerranée)
  2. L’ecclésiologie trinitaire de Nikos Nissiotis et Nikos Matsoukas : son rapport à la hiérarchie et sa signification socio-politique, par Pantelis Kalaitzidis (Volos Academy for Theological Studies)

Discutants : Marie-Hélène Blanchet (CNRS, Paris), Bernard Heyberger (EHESS-EPHE), Niki Papaïliaki (EPHE)

  1. L’exégèse comme matrice de l’ecclésiologie

26 mai 2016

[Paris, EHESS, bâtiment France, 190-198 avenue de France, 13e arrdt., salle Jean-Pierre Vernant]

De se dire instituée par le Verbe, l’Église ne peut que se définir en référence permanente au corpus scripturaire – et singulièrement à quelques lieux plus directement ecclésiologiques, parmi lesquels les propos de Paul sur la communauté ou les mises en scène évangéliques de l’apostolicité. Pour autant, le christianisme demeure une religion de l’interprétation, où l’univocité n’est pas un a priori. Le « vrai sens » y est à trouver au terme d’un parcours exégétique, dont on sait bien que la révolution critique a bouleversé la logique, au point de mettre en crise l’institution. Les évolutions techniques, méthodologiques et historiques de l’exégèse ont donc des conséquences directes sur l’ecclésiologie, qui se trouve traitée et renouvelée à même les travaux bibliques. Mais ces travaux sont de statuts très divers : psittacismes de séminaire, controverses intra et interconfessionnelles, avancées scientifiques autonomes… Des champs connexes interfèrent en outre, de l’étude des apocryphes à la patrologie, porteuse de la mémoire d’une « exégèse spirituelle » aux étonnants revivals. C’est dans ce maquis de recherches et de publications qu’il s’agira de tracer quelques voies utiles à l’enquête générale sur l’auto-compréhension de l’Église.

9h30-12h30 :

Introduction, par Frédéric Gabriel

  1. La critique du pouvoir de l’Église à partir de l’exégèse, de Hobbes à Schnackenburg, par Mauro Pesce (Université de Bologne)
  2. Réflexions sur les fluctuations de l’exégèse du XXesiècle dans l’interprétation de l’ecclésiologie des lettres pauliniennes, par Jean-Noël Aletti (Institut biblique pontifical, Rome)

14h15-18h30 :

  1. Enjeux interprétatifs de l’exégèse de Mathieu 16, 17-19 depuis le début du XXesiècle, par Christian Grappe (Université de Strasbourg)
  2. En quoi la redécouverte des apocryphes (chrétiens) modifie-t-elle la perception de l’Église ?, par Jean-Michel Roessli (Université Concordia, Montréal)
  3. L’Exégèse médiévale: Henri de Lubac ecclésiologue ?, par Cédric Giraud (Université de Lorraine) et François Trémolières (Université Paris Ouest-Nanterre)

Discutants : Philippe Büttgen (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Pierre Lassave (CéSor, EHESS), Michel-Yves Perrin (EPHE, LEM), Sumi Shimahara (Université Paris IV)

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