L’Harmonie. Questions sur les usages et enjeux d’une notion polysémique

Jeudi 14 octobre 2021

Centre PANTHEON (salle 216), 12, place du Panthéon

(Passe sanitaire obligatoire pour acceder à la salle)

https://zoom.univ-paris1.fr/j/95354403812?pwd=aWdQYTFFRWdPWVdQODAvV01NRUg2QT09
ID de réunion : 953 5440 3812 Code secret : 936602

 

9h : Accueil
9h10 David Armando : Introduction
9h25 Pascal Rousseau (École nationale des Beaux-Arts de Paris) : Fluides conducteurs. Harmonies magnétiques et attractions électriques
9h50 Jean-Loup Kastler (Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne/IHMC) : L’écologie politique de Michel-Antoine Servan et la régénération montagnarde : une déclinaison originale du concept mesmérien d’harmonie universelle ?
10h15 Samuel Macaigne (EPHE) : L’harmonie introuvable : les cures magnétiques du chevalier de Barberin.
10h40 : Pause
10h55 Olivier Ritz (Université de Paris) : « Une certaine harmonie nécessaire » : La Grande période de Jean Delormel
11h20 Philippe Sarrasin Robichaud (Sorbonne Université/UQTR) : Vieilles folies et grosses vérités. Ménuret de Chambaud, la notion d’harmonie en médecine et les nouvelles empiricités du Paris prérévolutionnaire
11h45 Discussion coordonnée par Jean-Luc Chappey et Bruno Belhoste avec la participation de Jean-Pierre Brach, Claire Gantet et Mélanie Traversier

RESUMÉS DES COMMUNICATIONS

Pascal Rousseau, Fluides conducteurs. Harmonies magnétiques et attractions électriques

L’objet de cette communication est d’examiner les liens étroits associant les imaginaires du magnétisme animal aux protocoles d’une médecine électrique et la façon dont ce croisement a pu influencer les lectures esthétiques des expériences du baquet de Mesmer autour d’une physique des attractions jusqu’à la condamnation de leur subversion libidinale

Jean-Loup Kastler, L’écologie politique de Michel-Antoine Servan et la régénération montagnarde : une déclinaison originale du concept mesmérien d’harmonie universelle ?

Les écrits de l’homme de loi Michel-Antoine Servan font partie de notre corpus de thèse consacré aux métamorphoses de la cité idéale en Pays de Montagne à la fin du XVIIIe siècle. Avocat général du Parlement de Grenoble, il développe à partir de la fin des années 1760 ce qu’il est possible de qualifier de discours républicain. Cela n’implique pas pour autant une volonté de renverser les régimes monarchiques. De fait, Servan fait davantage partie des « améliorateurs » que des révolutionnaires.

Au lendemain de l’expulsion des Jésuites, ce que Servan appelle ses rhapsodies prennent la forme d’un discours moral à caractère éducatif où il est question des mœurs républicaines de Rome mais aussi de la Suisse. Mais il sait s’adapter en fonction des contextes et de la mode discursive du moment. C’est ainsi qu’au milieu des années 1780 il publie de façon anonyme une série d’ouvrages apologétiques en faveur du mesmérisme. Ce nouveau véhicule s’accompagne d’une radicalisation de la critique du pouvoir d’autant plus insolente qu’elle se crypte en langage paramédical et devient anonyme. Pour autant, il serait naïf de penser que ce détour mesmérien de la pensée de Servan est sans conséquence sur sa nature et son contenu. La notion d’harmonie universelle, qui joue un rôle central dans les écrits de Mesmer et correspond à l’idée d’une nécessaire interdépendance des corps à toute les échelles, contribue à naturaliser la pensée du légiste. Elle correspond certes aux préoccupations d’un homme malade que la médecine traditionnelle n’a pas su convaincre mais elle s’inscrit aussi dans une critique de la civilisation au sens fort du terme. Servan se méfie de la ville qui éloigne l’homme de la nature et le connecte à l’espace impérial du négoce. Le mesmérisme fait germer dans la pensée de Servan un éloge de l’ancrage local qui s’accompagne d’une forme d’écologie politique organisée autour de l’idée d’une nature intelligente. Il n’est donc pas étonnant qu’il trouve dans les montagnes du Dauphiné et de Suisse la métaphore qui lui permet de matérialiser sa pensée.

Samuel Macaigne, L’harmonie introuvable : les cures magnétiques du chevalier de Barberin

À la fois disciple du docteur Deslon et proche des milieux illuministes lyonnais, le chevalier de Barberin procède à des cures somnambuliques qui ne se limitent pas à la simple pratique thérapeutique. À travers la parole de ses patientes, il tente de percer les mystères de l’harmonie cosmique, en restant à l’écoute d’une parole réputée prophétique ou divine. Cependant, le déroulement houleux de son traitement donne une image brouillée de cette harmonie qui semble à chaque instant se dérober. Au cœur de ce qui leur paraît être un véritable apostolat, lui et ses proches tentent de trouver un chemin plus théosophique que scientifique vers une réconciliation de l’homme, malade et pécheur, avec le divin.

Olivier Ritz : « Une certaine harmonie nécessaire » : La Grande période de Jean Delormel

« Nous avons pris notre point de vue sous un aspect plus universel : nous avons pensé que, pour découvrir la vérité, il fallait la chercher, non point dans la physique, ni dans la morale, ni dans le dogme, ni dans la tradition, ni dans l’histoire, ni dans la théologie seulement, mais dans une certaine harmonie nécessaire, qui doit régner entre elles toutes, comme entre les parties d’un tout. »

La Grande période ou le retour de l’âge d’or explique toute l’histoire du monde par une théorie astronomique réduite à un principe unique : l’inclinaison de l’axe de la terre décrirait une « grande période », c’est-à-dire qu’elle suivrait une variation cyclique qui aurait des conséquences sur le climat et sur l’histoire.

Dans le système de Delormel, l’harmonie est à la fois l’objet de la démonstration (il faut montrer que tout est lié) et son moyen principal : la Grande période est prouvée par la concordance des sciences, des religions et des traditions littéraires ainsi que par la Révolution française. Elle est aussi une promesse : la théorie de la Grande Période annonce un retour à l’âge d’or, c’est-à-dire à un état harmonieux du monde.

On peut insister sur l’originalité de cet ouvrage et de son histoire éditoriale : La Grande Période a été publiée à trois moments très différents de la période révolutionnaire : en 1790, 1797 et 1805. Une fois la Révolution discréditée par sa réduction à la « Terreur », comment Jean Delormel peut-il encore affirmer que l’histoire prouve un progrès continu vers l’harmonie ? Il faut pourtant envisager La Grande Période comme un ouvrage représentatif de son temps : la théorie qui y est exposée s’inscrit dans une tradition héritée notamment de Rousseau. La pensée d’une harmonie entre le monde physique et le monde politique est développée dans des ouvrages contemporains, non seulement dans les premières années de la Révolution, avec Les Ruines de Volney, mais aussi plus tard, avec l’Essai historique de Chateaubriand. Les réactions aux trois éditions la Grande Période dans la presse sont souvent très critiques : par leur nombre et leur longueur, elles suggèrent cependant qu’il y a quelque chose à prendre au sérieux dans l’entreprise théorique de Jean Delormel.

Philippe Sarrasin Robichaud, Vieilles folies et grosses vérités. Ménuret de Chambaud, la notion d’harmonie en médecine et les nouvelles empiricités du Paris prérévolutionnaire

Si Mesmer n’aborde qu’allusivement la manière dont la musique participe de thérapeutiques physiques et morales, d’autres médecins parmi ses contemporains réfléchissent plus explicitement à la question. Parmi eux, Jean-Joseph Ménuret de Chambaud (1733/1739-1815) est prolifique médecin-philosophe, proche de Diderot, admirateur de Rousseau et rédacteur d’articles pour l’Encyclopédie, dont celui sur les « Effets de la musique ». Il y développe les thèses d’un collègue de Montpellier, notamment celle voulant que « tout homme bien organisé porte en naissant » comme inscrits en sa constitution « les principes démontrés de l’harmonie » musicale. Ce faisant, Ménuret reconduit l’espérance fondée dès le Traité de l’harmonie (1722) de Rameau : les rapports mathématiques fixes de la résonance du corps sonore sous-tendent les mouvements complexes du vivant. Toutefois, à la différence du compositeur et théoricien, l’harmonie de Ménuret peut être goûtée pleinement sans la moindre connaissance : « il suffit d’être sensible » pour accéder aux plaisirs qu’elle recèle. L’harmonie sensible de Ménuret invite alors à une nouvelle empiricité, qu’incarne notamment sur scène le Figaro de Beaumarchais. Désormais, il existe plusieurs vérités et la « vérité la plus vraie », quitte à évoluer, n’est que celle qui sera sentie dans un contexte particulier. C’est d’ailleurs en supposant un potentiel d’acceptation future que Ménuret aborde en 1786 le magnétisme de Mesmer, citant le Mariage de mémoire : « avec le temps vieilles folies deviennent sagesse, et anciens petits mensonges ont produit de grosses, grosses vérités. »

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