Colloque Construire, déconstruire, reconstruire les sciences sociales : Réfléchir les défis du religieux (REFLEX)

Colloque international

12-14 octobre 2022

Campus Condorcet, centre de colloques – Auditorium 150

Colloque organisé par le CéSor (EHESS-CNRS)

Ce colloque a pour ambition de réunir des chercheuses et chercheurs à l’échelle nationale et internationale autour de la «question religieuse» comme levier de réflexion sur la pratique et le développement des sciences sociales, à partir de questionnements sur la situation des sciences sociales du religieux, sur les institutions qui leur donnent site, sur la cartographie mondiale de ces sciences dans la dynamique de leur circulation, et sur leur fonction sociale.

Aujourd’hui, peut-être plus que jamais au cours des dernières décennies, la question du religieux traverse tous les domaines de la vie sociale, de la sphère intime à la tribune publique, ainsi que les discours scientifiques qui tentent de l’appréhender. Ce «renouveau» de la question religieuse bouscule les paradigmes à partir desquels les sciences sociales se sont construites et invite à repenser la manière dont l’objet «religion» ne cesse de travailler nos disciplines. L’exigence d’une telle réflexion nous a imposé le projet d’un dialogue entre des acteurs de toutes disciplines, issus de divers cadres institutionnels et contextes socio-politiques et culturels, pour apporter des éclairages circonstanciés, sur la longue durée et dans un espace culturel élargi. 

Dans cette perspective, «la question religieuse» est plurielle et semble réfléchir des défis de plusieurs ordres que l’on peut regrouper en trois thèmes majeurs autour desquels ce colloque international s’organisera : 1. Espaces et lieux de production des savoirs; 2. Traductions et circulations des concepts, des catégories et des objets; 3. L’éthique, le politique et la cité.  

Espaces et lieux de production des savoirs 

La question des relations entre les différents contextes de savoir doit être appréhendée en fonction de leurs espaces et de leurs lieux de production. Dans quels cadres et dans quels environnements se fabriquent les sciences sociales du religieux? Dans quels secteurs du champ académique sont-elles produites? Existe-t-il des spécificités ou des singularités selon les différentes structurations académiques nationales?

Dans certains contextes, des lieux situés à la frontière, voire en dehors du champ académique ont par ailleurs pu suppléer ou se substituer aux institutions proprement académiques. Les musées d’anthropologie ont pu, par exemple, être à l’origine de la production et de l’enseignement des sciences sociales (comme ce fut le cas de certaines institutions muséales brésiliennes ou mexicaines). Dans d’autres contextes, les écoles religieuses, les divinity schools ou les centres théologiques ont constitué des foyers d’échanges et de productions des sciences sociales du religieux, comme c’est le cas de certains établissements en Suède, au Sénégal, au Maroc ou encore aux États-Unis. Dans d’autres sociétés, sous domination idéologique d’États autoritaires, ce sont des lieux hétéroclites et hors institutions qui assurent une production plus libre et émancipée des sciences sociales du religieux, comme c’est le cas dans l’Iran actuel ou comme ce fut le cas dans les démocraties populaires de l’époque communiste. Mais qu’en est-il aujourd’hui? Quels sont les lieux de la genèse des sciences sociales du religieux dans diverses traditions académiques? Quelle place occupent-ils dans le paysage institutionnel

Une comparaison à la fois synchronique et diachronique des différents espaces géographiques de production de savoir sur la «religion» ou sur le «religieux» (de l’Europe aux Amériques en passant par l’Afrique et l’Asie) permettra de rendre compte de la diversité et de la richesse de ces lieux de production de savoir à travers le monde.

Ce panel interrogera les singularités des contextes académiques et nationaux dans la production des savoirs sur l’objet «religieux».

Traductions et circulations des concepts, des catégories et des objets

La traduction et la circulation des concepts et des catégories qui servent à définir et à penser le religieux constituera une thématique transversale du colloque, à la fois comme objet de réflexion en lui-même et comme réflexion sur les pratiques de traduction et sur les logiques de circulation propres aux chercheuses et chercheurs. Après avoir porté dans le premier panel notre intérêt sur les logiques de constitution des traditions de recherche singulières, ce deuxième panel s’intéressera plus spécifiquement aux porosités et aux relations entre ces différents espaces.

Il s’agira tout d’abord d’examiner les enjeux de la traduction des catégories émiques du religieux en catégories dites scientifiques et d’interroger les éventuels effets de retours sur les catégories internes du religieux. Nous interrogerons ici la manière dont les protagonistes parlent de leurs propres expériences religieuses, des catégories utilisées pour lui donner sens, en relation au travail de la chercheuse ou du chercheur qui traduit cette expérience dans le discours des sciences sociales. Nous interrogerons aussi la pertinence de mobiliser ou non des catégories scientifiques traduites d’un univers religieux spécifique pour saisir des phénomènes extérieurs à cet univers : peut-on parler de «conversion» ou même de «religion» à propos du judaïsme, de l’islam, du bouddhisme ou des «religions» afro-brésiliennes?

Il s’agira dans un deuxième temps de questionner la traduction des concepts des sciences sociales du religieux, en relation à leur développement historique et à la création de leur objet. Comment traduire des catégories comme «conversion», «écriture sacrée», ou «autorité religieuse» d’une langue et d’une tradition analytique à une autre? En nous appuyant sur des expériences de traduction ou de constitution de lexiques communs, le but sera ainsi de réfléchir aux catégories élaborées par les sciences sociales en relation avec les langues, et donc nécessairement avec les espaces et les lieux de leur développement.

Nous interrogerons enfin la pertinence même des efforts de traduction de la catégorie «religion». Depuis les années 1990, la critique postcoloniale a questionné l’universalité des catégories de «religion» et de «sécularité-sécularisation» avec, notamment, les travaux de l’anthropologue Talal Asad, qui interpellent l’idée même de «religion» ou de «religieux» comme autant de notions produites par l’Occident et ne s’appliquant pas – nécessairement ou identiquement – à d’autres contextes, allant des «traditions discursives» de l’islam ou du judaïsme aux «religions» coutumières africaines ou afro-diasporiques. Ce panel s’intéressera plus particulièrement à la manière dont ce programme de réévaluation critique de la catégorie religion s’est diffusée, puis adaptée aux différents contextes géographiques, linguistiques et académiques. Loin d’être homogène, la critique postcoloniale connaît en effet des appropriations différenciées selon les enjeux locaux qui traduisent autant des effets de globalisation que des logiques de «diasporisation» des paradigmes et des catégories.

L’éthique, le politique et la cité

Nous interrogerons les porosités et les interfaces qui peuvent exister entre production des savoirs et politique. En France par exemple, la légitimité de la recherche s’appuie notamment sur l’idée  peut-être trompeuse de son autonomie acquise vis-à-vis du religieux et du politique. Par-delà le cas spécifiquement français, cette autonomie reste à questionner au regard de la manière dont les sciences sociales du religieux se sont construites dans leurs différents contextes sociaux et politiques et en regard des contraintes politiques qui pèsent aujourd’hui sur la production des savoirs. Des courants théoriques pluriels se sont formés à partir d’héritages hétérogènes, liés à la spécificité de chaque objet, de chaque contexte national de recherche, mais aussi à des positionnements idéologiques divers. Dans cette configuration, nous proposons d’interroger plus particulièrement l’injonction croissante à l’expertise, qui n’est pas sans conséquence sur la manière dont la recherche construit ses objets. L’étude des faits religieux a été et reste aujourd’hui l’instrument d’une compréhension des faits sociaux, et plus singulièrement l’instrument d’une compréhension critique des règles et des normes sociales, c’est-à-dire d’une interrogation sur leurs fondements. Mais elle est aussi, pour cette raison même, un signal d’alerte sur l’ordre social. En sorte que les «spécialistes» du fait religieux, dans ou hors du champ scientifique, sont sollicité.e.s et interviennent parfois dans un temps très court de l’actualité  – à l’inverse des démarches savantes, lentes et patientes, que leur objet requiert. Dans quelles proportions la recherche académique et l’expertise se tiennent-elles en fonction des situations sociales spécifiques? Comment l’éthique de la recherche se situe-t-elle dans ce double contexte? Comment ces questions se posent-elles et quel est leur niveau de pertinence selon les différents contextes politiques, culturels et religieux où sont produites les sciences sociales? Ces questions interrogent en filigrane leur niveau d’indépendance vis-à-vis de l’État, et par conséquent, le niveau d’autorité politique et religieuse que celui-ci peut exercer sur elles. Lorsque cette indépendance est forte, la stratégie de l’État est de moduler le financement de la recherche en fonction des thématiques qui le préoccupent; dans le cas contraire, les sciences sociales usent de tactiques pour augmenter leur espace d’autonomie.

 

 

Texte traduit en anglais par Paul Rollier (CNRS-CéSor)

 

International conference

Doing and undoing academic approaches to religion (REFLEX)

October 12th to 14th 2022 – Campus Condorcet
(Paris-Aubervilliers/France)

This international conference aims to bring together researchers around the issue of “religion” to reflect on the practice and development of the social sciences: the disciplinary status of academic approaches to religion, the institutions within which they are embedded, the global circulation of these discourses, and their social function.  

Perhaps more than ever in recent decades, the issue of religion arises across all areas of social life, from the private sphere to public forums, as well as within academic discourses dedicated to its analysis. This “renewal” in the study of religion challenges the founding paradigms of the social sciences and invites us to rethink the ways in which “religion”, as an object of study, continuously shapes our disciplines. To address these questions, we propose to establish a dialogue between researchers of diverse disciplines and institutional, cultural and socio-political contexts, with a view to provide detailed insights grounded in the longue durée and in comparative perspective.

We propose to approach religion trough three major themes: 1. Spaces and places of knowledge production; 2. Translations and circulations of concepts, categories and objects; 3. Ethics, politics and the city. 

Spaces and places of knowledge production

The relations between the different contexts of knowledge must be apprehended with respect to their spaces and places of production. What are the institutions and environments within which the social sciences of religion are produced? In which academic sector are they produced? Does the diversity of national academic environments give rise to distinct ways of framing social research on religion?

In certain contexts, places on the border or even outside the academic field have been able to stand in for, or to replace academic institutions. For instance, anthropology museums have sometimes generated the production and teaching of social sciences (as was the case of certain Brazilian or Mexican museums). In other contexts, the production of social sciences on religion emerges out of religious schools, divinity schools or theological institutes, as is the case of some institutions in Sweden, Senegal, Morocco or the United States. In societies under the ideological domination of authoritarian states, the relatively emancipated production of social sciences on religion sometimes stems from heterogeneous and non-institutional sites, as in contemporary Iran, or as was the case in communist countries. But what about today? Where, precisely, are the social sciences of religion produced across academic traditions? What position do they occupy in the institutional landscape?

A synchronic and diachronic comparison of the geographical spaces of knowledge production on “religion” and “the religious” (from Europe and the Americas to Africa and Asia) will enable us to account for the diversity and richness of these places of knowledge production throughout the world.

This panel will examine how the peculiarities of academic and national contexts shape the production of knowledge on “religion”.

Translations and circulations of concepts, categories and objects

A transversal theme for this conference will be the translation and circulation of concepts and categories used in defining and conceiving of “the religious”. These processes of translation and circulation are here understood both as an object of analysis in itself, and as a reflexive assessment of researchers’ own logic of movement and translation practices. While the first panel focuses on the formation of distinct research traditions, this second panel addresses more specifically the porosity and relationships between these different spaces.

First, this entails examining the translation of “emic” categories of “the religious” into purportedly scientific ones, and its possible feedback effects onto categories internal to “the religious”. Here we investigate how protagonists talk about and conceive of their own religious experience, and how researchers translate this experience into the discourse of the social sciences. We will also question the relevance of calling upon scientific categories translated from one specific religious world to understand phenomena external to it: can we speak of “conversion” or even “religion” in relation to Judaism, Islam, Buddhism or Afro-Brazilian “religions”?

Secondly, this panel will investigate the translation of concepts drawn from the social sciences of religion, with respect to their historical development and to the creation of their object. How can categories such as “conversion”, “sacred scripture”, or “religious authority” be translated from one language and analytical tradition to another? Drawing on experiences of translation or the constitution of common lexicons, this panel aims to reflect on the categories developed within the social sciences in relation to languages, and therefore to their sites of development.

Finally, we question the relevance of efforts to translate the category “religion”. Since the 1990s, postcolonial critiques have challenged “religion” and “the secular” as universal categories of analysis. For the anthropologist Talal Asad, for instance, the very idea of “religion” or “the religious” has been produced by the West, and as such does not (necessarily or identically) apply to other contexts, from Islam and Judaism’s “discursive traditions” to African or Afro-diasporic customary “religions”. More specifically, this panel explores how this critical re-evaluation of the category of religion has traveled and adapted to various geographical, linguistic and academic contexts. Far from being homogeneous, postcolonial critique is seized locally in ways that are shaped as much by the effect of globalization as by the “diasporization” of paradigms and categories.

Ethics, politics and the city

We here examine the porosity and connections that can exist between knowledge production and politics. In France, for example, the legitimacy of research hinges to a certain extent on the (perhaps misleading) idea of its acquired autonomy from religion and politics. Beyond the French case, this autonomy must be examined critically, first with respect to the distinct history of the social sciences of religion in specific social and political contexts, and secondly with respect to the political constraints that weigh on the production of knowledge today. Multifarious theoretical strands emerged out of heterogenous legacies, tied to the specificity of each object and national research context, but also to diverse ideological positions. In this context, we propose to examine more particularly the growing demand for expertise and its impact on the way researchers frame their inquiries.

The study of religion was and remains an instrument to better understand social facts, and more specifically to critically apprehend social norms and rules, and in so doing the very foundations of society. For this reason, it is well-equipped to detect the transformations of social order. Thus, “specialists” in the study of religion, both within and outside academic circles, are sometimes called upon to offer their analysis in short order, in contrast to the patient approach required by their object of study. How does the division of labor between academic research and expertise relate to specific social settings? Where do we situate research ethics within this dual context? How do these questions emerge, and how pertinent are they with respect to the diverse cultural and religious contexts in which the social sciences are produced? These questions are contingent upon their degree of independence from the state, and consequently upon the kind of political and religious authority that the state wields over them. When such independence is established, the strategy of the state consists in directing research funding towards its own thematic priorities. Otherwise, the social sciences devise tactics to extend their autonomy.

 

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